La relecture, cette mal-aimée (1/3)

15.11.2022 | Méthodes de travail | Camillia Salas

 

UniNE-BLOG-relcture.pngSouvent, le travail de relecture dans un écrit académique est relégué au second plan, car une certaine doxa universitaire véhicule parfois l’idée de primauté de la connaissance ou du contenu sur la langue.

 

A cela s’ajoute également une prédisposition culturelle profondément enracinée qui privilégie l'importance de l'écrit dans la rédaction au détriment de la relecture. (Turner, 2011). De fait, la relecture, que ce soit dans le domaine académique ou dans d’autres sphères, a mauvaise réputation et rares sont les enseignants ou les étudiants à l’université qui voient dans le travail de relecture le moyen par lequel la connaissance est véhiculée de façon la plus claire et la plus compréhensible possible.

En outre, la relecture est perçue comme un processus désagréable et chronophage, qui remplit rarement les attentes des scripteurs et des relecteurs. Par exemple, les enseignants peuvent ressentir un sentiment d'irritation, soit en devant lire un travail, qu'ils perçoivent comme n'ayant pas été relu, soit parce qu'ils se sentent obligés de le relire eux-mêmes. Les étudiants, quant à eux, convergent sur des préoccupations essentiellement affectives concernant l'écriture : un manque de confiance en leurs capacités rédactionnelles, l'angoisse de bien faire les choses et de communiquer efficacement leurs idées, le sentiment de ne pas être exactement ce que l'on attend d'eux, une colère ressentie face aux inégalités perçues, selon lesquelles ceux qui ont payé des correcteurs pour relire leur travail ont obtenu de meilleures notes, etc. (Ibid. :429-430).

Dans l’approche conceptualiste de Locke, le langage joue un rôle dans la constitution de la connaissance, parce qu’il est justement ce qui permet d’exprimer avec précision ce qu’est cet état de la science (Locke, 1689 [2001]). Autrement dit, les mots sont envisagés comme des formes permettant avant tout de véhiculer les idées : ils reflètent ainsi le cadre de la pensée (Watbled, 2009 : 75-76). Néanmoins, Locke rend attentif aux biais du langage : il critique notamment les imperfections du langage (signification incertaine ou erronée, etc.) et ses abus commis par les utilisateurs (néologisme, mots abstraits, termes flous, etc.) (Ibid. :103). Or, dans la communication scientifique, les ratés de la communication sont à éviter, la compréhension étant l’objectif majeur.

Et c’est – précisément – en raison des imperfections du langage et des abus commis par les sujets parlants que la relecture prend toute son importance dans la communication scientifique. La relecture est ce garde-fou qui indique les biais du langage que le scripteur a pu insuffler au produit écrit. Il est également le garde-fou, en tant que méthode, permettant au scripteur de s’assurer d’avoir traduit le plus fidèlement et le plus clairement possible sa pensée. En d’autres termes, la relecture est l’aboutissement ultime du processus d’apprentissage de la rédaction et de la compréhension d’un savoir encyclopédique : des savoir-faire majeurs à l’université.

 

Références bibliographiques

Locke, J. ([1689] 2001). Essai sur l'entendement humain. Livres III-IV. Vrin.

Turner, J. (2011). “Rewriting writing in higher education: The contested spaces of proofreading”. Studies in Higher Education, 36(4), 427-440.

Watbled, J-P. « La philosophie du langage de John Locke. Alizés »: Revue angliciste de La Réunion, Faculté des Lettres et Sciences humaines (Université de La Réunion), 2009, pp.73-110. hal- 00875438.


Avez-vous trouvé cet article utile ? Merci de nous faire part de vos commentaires !
Nous cherchons également des étudiantes et étudiants pour contribuer au blog.
Ecrivez-nous ! contact.sep@unine.ch

Biographie

Fenley_Marika_teaser.jpg

Camillia Salas
Chargée d'enseignement
Institut des sciences de la communication et de la cognition
Chaire linguistique et analyse discours

www.unine.ch/iscc

Posts en relation