
Figure de proue du nationalisme et de l’indépendance de l’Iran, Mohammad Mossadegh a obtenu son doctorat à la Faculté de droit de l’Université de Neuchâtel où il a étudié de 1911 à 1914. Il a marqué l’histoire du XXe siècle en nationalisant l’industrie pétrolière de son pays avant d’être nommé au poste de Premier Ministre en 1951. Il est renversé par un coup d’Etat, fomenté notamment par la CIA, lors de l’opération Ajax en 1953.
Le Printemps culturel est une manifestation qui vise à présenter des civilisations encore méconnues, leurs richesses, leur patrimoine historique et culturel. Sa première édition, qui s’est déroulée du 20 mars au 21 juin 2015, fut consacrée à l’Iran et à son histoire millénaire.
Partenaire du Printemps culturel, l’Université de Neuchâtel y a participé par le biais de conférences organisées en collaboration avec l’Institut d’histoire, l’Institut d’archéologie et l’Institut de géographie. Et grâce à une exposition consacrée à l’un de nos plus prestigieux anciens étudiants, Mohammad Mossadegh qui a étudié à l’Université de Neuchâtel de 1910 à 1914, où il a obtenu sa licence et son doctorat en droit.
Cette exposition a pu voir le jour grâce, notamment, au soutien des associations d’Alumni de l’Université de Neuchâtel. Des sociétés qui veulent faire rayonner l’Alma mater et créer un réseau de solidarité entre étudiants actuels et anciens diplômés.
Près de cinquante ans après sa mort, son nom reste profondément gravé dans la mémoire des Iraniens et des tiers-mondistes. Mohammad Mossadegh, figure de proue du nationalisme et de la démocratie, renversé par la CIA en 1953… Son «crime» – son «seul crime» clamera-t- il lors de son procès au Tribunal militaire de Téhéran – a été de nationaliser en 1951 l’Anglo-Iranian Oil Company, dans le but d’assurer l’indépendance économique et politique de son pays.
Porté par une foule en liesse, il a le visage radieux, la main levée en signe de victoire. Nous sommes en 1951. Mossadegh est au faîte de sa carrière politique. Et croit plus que jamais à cet Iran libre et indépendant pour lequel il s’est battu toute sa vie. Il est alors bien loin de se douter que, deux ans plus tard, il sera définitivement évincé de la scène politique, au terme d’un procès retentissant.
Né en 1882 à Téhéran, fils d’un haut fonctionnaire et d’une princesse Qajar, le jeune Mossadegh a 15 ans lorsqu’il est nommé inspecteur des finances de la Province du Khorassan. Très vite conscient que l’ingérence des puissances étrangères – essentiellement britannique – entrave le développement de son pays, il adopte une ligne nationaliste dont il ne déviera pas tout au long de sa carrière politique.
Après des études à l’Ecole libre des Sciences politiques à Paris puis à l’Université de Neuchâtel, où il obtient un doctorat en droit, Mossadegh retourne en Iran. Ministre de la Justice, gouverneur d’Azerbaïdjan, ministre des Affaires étrangères… Entre 1920 et 1923, il cumule les ministères et n’hésite pas, devenu député, à s’opposer à Reza Khan quand celui-ci s’empare du pouvoir en 1925. Ses griefs? Une «conduite tyrannique», qui met en péril le processus de démocratisation de l’Iran, ainsi que sa soumission aux Anglais. Incarcéré à deux reprises et assigné à résidence, Mossadegh ne réapparaît qu’en 1943 comme député au Parlement. Il fonde alors avec un petit groupe de députés nationalistes le Front national, dont l’objectif est notamment de briser la mainmise britannique sur le pétrole, seule ressource financière importante du pays.
Lorsque le 29 avril 1951 Mossadegh est nommé premier ministre, il nationalise l’Anglo-Iranian Oil Company, la plus importante capitalisation boursière anglaise, qui devient le 1er mai la National Iranian Oil Company. La décision est historique: c’est la première fois qu’un pays du tiers-monde ose s’en prendre aux intérêts d’une puissance impérialiste. Alors que pour le Time Magazine, Mossadegh est l’homme de l’année – les Américains voient alors dans les mouvements nationalistes un bon rempart contre le communisme -, la décision provoque un grave conflit avec la Grande-Bretagne qui porte l’affaire devant la Cour internationale de Justice de La Haye. Défendant en personne le dossier iranien, Mossadegh obtient gain de cause le 22 juillet 1952. En dépit du jugement de la Cour, le blocus international sur le pétrole est maintenu.
Affaibli à l’intérieur par une grave crise pétrolière, Mossadegh est renversé le 19 août 1953, lors d’un coup d’Etat fomenté par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, et orchestré par la CIA (opération Ajax). Au terme d’un procès au retentissement mondial, il est condamné à trois ans d’emprisonnement, puis assigné à résidence, dans son village d’Ahmadabad, jusqu’à sa mort le 5 mars 1967. Malgré cet épilogue, Mossadegh demeure aujourd’hui encore un symbole de la démocratie et de l’indépendance nationale.
Après des études à l’Ecole libre des Sciences politiques à Paris, Mohammad Mossadegh étudie à la Faculté de droit de l’Université de Neuchâtel de 1910 à 1914. Sa licence en poche, il écrit une thèse sur Le testament en droit musulman, secte chiite, précédée d’une longue introduction sur les sources du droit musulman, et obtient son doctorat le 8 juillet 1914. Etudiante en Droit international et européen à l’UniNE et d’origine iranienne, Shabnam Ghovanloo nous livre sa lecture d’un texte éminemment moderne.
Quelles sont les grandes lignes de la thèse de Mossadegh?
De manière générale, la thèse de Mossadegh démontre qu’à l’intérieur de l’Islam, il existe de nombreux courants. Ces derniers peuvent poser problème en matière juridique, car non seulement ils se contredisent, mais les lois ellesmêmes ne sont plus adaptées à la réalité socio-économique des pays. Si les Etats musulmans peuvent s’inspirer des sources anciennes, c’est à condition, précise-t-il, de prendre en considération l’évolution des moeurs et besoins du pays concerné. Autrement dit, le droit ne doit pas être figé. Il doit s’adapter aux changements.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Mossadegh invite par exemple le législateur musulman à s’inspirer du droit moderne européen. Pour lui, il ne s’agit pas d’imiter aveuglément les pays occidentaux, mais bien d’harmoniser les lois pour éviter «de stériles conflits». La révolution constitutionnelle de 1906, qui met fin à la monarchie absolue en Iran, va dans ce sens en introduisant un nouveau système politique inspiré en partie des valeurs occidentales, comme l’égalité devant la loi ou le droit à l’expropriation. C’est cette même année que le Parlement iranien voit d’ailleurs le jour.
Avec de tels propos, Mossadegh n’était-il pas en porte-à-faux avec les préceptes du droit musulman?
Mossadegh n’avait pas l’intention de couper tous liens avec la religion. Dans son introduction, il démontre en remontant aux sources du droit musulman que l’adaptation des lois est au contraire autorisée par le Coran. Le Prophète avait lui-même ordonné de modifier les lois suivant les nécessités du temps. A ceux qui estiment que la raison humaine ne peut s’opposer au droit musulman, Mossadegh rétorque: «Là où le législateur a donné l’ordre formel de faire ou de ne pas faire, nous sommes obligés de nous conformer à sa volonté. Mais pour le surplus, nous gardons toute notre liberté d’action, et c’est alors à notre raison à nous diriger» (p.43).
Quel regard portez-vous sur son travail ?
Quand j’ai appris que Mossadegh a étudié à Neuchâtel, je me suis sentie fière. Il a écrit sa thèse il y a 100 ans. Or, c’est un texte moderne, qui parle de sujets qui sont encore d’actualité. Comme le souligne Mossadegh, selon le Coran «les Musulmans, dans certains domaines tout au moins, doivent avoir la prééminence sur les partisans des autres religions» (p.72). De son côté Mossadegh était pour l’égalité devant la loi. Pour lui, chaque homme devait bénéficier des mêmes droits, à savoir des obligations et des privilèges, indépendamment de son appartenance religieuse. D’autant plus, souligne-t-il, qu’il est impossible de vérifier les croyances de chacun.
Ayant choisi l’Université de Neuchâtel pour passer sa licence en droit, Mohammad Mossadegh s’installe avec sa famille dans le canton de 1910 à 1914. Pour obtenir son brevet d’avocat, il doit demander sa naturalisation.
Conditions de vie agréables, climat clément, air pur… Si la Suisse présente pour Mossadegh de nombreux avantages, il hésite en ce début de XXe siècle à poursuivre ses études en Belgique. Il jette finalement son dévolu sur l’Université de Neuchâtel. «La ville la plus adaptée pour les études en Suisse romande est sans conteste Neuchâtel. Nous pouvons nous consacrer aux études sans craindre d’être attirés par les activités de loisirs et autres divertissements. Dès neuf heures du soir, les habitants restent chez eux», relate-t-il dans ses mémoires.
Mossadegh s’installe dans le canton avec sa famille en 1910. Pour permettre à sa mère, qui les accompagne, de se sentir libre de sortir de la maison, il part à la quête d’un appartement en-dehors de la ville. Sa première visite se solde par un refus. Apprenant que Mossadegh est de confession «musulmane chiite», le propriétaire lui fait clairement part de ses réserves. C’est la seule expérience de ce type, puisque Mossadegh trouve rapidement un quatre pièces à Carrels 7, à Peseux, où il s’installe avec sa «tribu», comme s’en souviennent les Subiéreux de l’époque dans la Feuille d’avis de Neuchâtel du 23 octobre 1953, étonnés de voir autant de personnes vivre sous le même toit. Sa mère étant entre-temps retournée en Iran, Mossadegh déménage en septembre 1911 à Neuchâtel «pour un logement plus proche de l’université afin de ne plus perdre de temps avec les trajets ». Il habite un temps à Evole 33, puis Evole 5, avec notamment sa femme, leurs trois enfants et leur gouvernante.
Sa licence en droit en poche, Mossadegh entame, parallèlement à la rédaction de sa thèse, un stage dans l’étude de l’avocat Jean Roulet, Place Pury 5. «Je m’occupais de petites affaires, car les clients importants refusaient de voir leurs affaires confiées à une personne qu’ils ne connaissaient pas. (…) J’ai pu participer au sein du Palais de Justice de Neuchâtel aux séances de plaidoiries. Je pouvais obtenir le brevet d’avocat à condition de me naturaliser », explique-t-il dans ses mémoires.
Il entreprend donc, fin juin 1913, une procédure de naturalisation qui se poursuit sans difficulté jusqu’au préavis négatif de la Commission des agrégations de la commune de Neuchâtel qui constate que, si Mossadegh veut devenir Suisse, ce n’est pas dans l’intention de s’établir à Neuchâtel. En ayant été informé, il retire sa requête le 4 juillet 1914 et, ayant obtenu dans les mêmes jours son doctorat, repart pour la Perse avec sa femme et leur fils cadet, Gholam Hussein, tandis que leur fille Ashraf et leur fils Ahmad sont confiés à un couple neuchâtelois, la famille Perrenoud. La 1re Guerre mondiale l’empêchera de les revoir jusqu’en 1919.
De retour en Perse, Mossadegh intègre le ministère des Finances, où il mène une lutte acharnée contre la corruption. Mais il doit abandonner son poste devant l’hostilité du Premier ministre Vossough od Dowleh.
Revenu en Suisse en 1919, il passe par Neuchâtel en 1920 pour reprendre ses enfants et regagner définitivement la Perse où, dans l’intervalle, il est nommé ministre de la Justice.
Informations réunies par Rémy Scheurer, Commissaire scientifique
Les Mémoires de Mossadegh ont été publiés à Téhéran par son fils Gholam Hossein, avant d’être traduits en anglais par S.H. Amin et H. Katurzian , Musaddiq’s Memoirs, Londres, 1988, Ed. Jebhe. Les souvenirs des années passées à Neuchâtel se trouvent aux chapitres 11 à 13. Nous remercions Zahra Banisadr de nous avoir communiqué Au côté de mon père, souvenirs de Gholam Hossein Mossadegh, traduction des quelques pages ajoutées à l’édition originale des Mémoires. Enfin, en mai 1953, Mossadegh a encore évoqué son séjour à Neuchâtel dans l’éditorial du Bulletin de la Société des Etudiants étrangers, n°1.
Les études et la licence en droit (1910-1913)
Inscription à l’Université.
Mossadegh au doyen. Il relève de maladie. Demande l’autorisation de se présenter aux examens de licence au début du semestre d’été. Annexes à propos des études antérieures, annotées par le doyen.
Le doyen à Mossadegh. Pas d’équivalence pour les études à Liège, car il n’y a pas eu d’inscription aux cours. Pas d’équivalence pour les études à l’Ecole de Sciences politiques de Paris, qui n’est pas une Faculté de droit. Cependant, en raison de circonstances exceptionnelles, la Faculté autorise une session extraordinaire en avril. Annexes en retour.
Le doyen à Mossadegh. Par égard pour les circonstances familiales, le bureau autorise la session extraordinaire d’examen en avril. Demande au candidat d’indiquer la branche choisie pour celui des deux travaux écrits en option, selon l’art. 49 du règlement.
Le doyen à Mossadegh. En réponse à sa lettre du 14.02., il lui communique les deux sujets de travaux écrits de licence, à remettre pour le 1er mai. 1° Droit civil. Convient-il de rendre l’Etat responsable des actes illicites que causent les fonctionnaires employés publics dans l’exercice de leur charge ? Comment doit-on, le cas échéant, organiser cette responsabilité ? 2° Droit pénal. Quelles sont vos idées sur le principe de la non extradition pour délits politiques ?
Les examens finaux de Mossadegh sont fixés aux 30 et 31 mai. Mossadegh a écrit au doyen pour lui déclarer, en réponse à une question de Carl Ott, que ses travaux écrits sont clairement de lui pour le fond et qu’il n’avait recouru à un tiers que pour les traductions et références allemandes ainsi que pour la rédaction de son travail.
Le doctorat en droit (1913-1914)
Mossadegh au doyen: «Dans le second jour de mes examens oraux, Messieurs les professeurs ont bien voulu me donner conseil d’écrire ma thèse sur les institutions juridiques de mon pays. Dès lors, j’ai attendu les sources que j’avais demandées sur plusieurs sujets différents. A cause de la grande distance, elles ne me sont pas encore parvenues. Considérant que l’obtention de l’approbation réglementaire serait impossible pendant les grandes vacances – et c’est à ce temps-là que je désire traiter ma thèse – j’ai l’honneur de vous communiquer le sujet de ma thèse, dont voici le titre: Le divorce en Perse, et je vous prie de bien vouloir me faire dire si le sujet sera approuvé par la Faculté. »
Mohammad Mossadegh, Le testament en droit musulman (secte Chyite) : précédé d’une introduction sur les sources du droit musulman, Paris, 1914, Ed. Libr. G. Crès.
Bibliothèque de la Faculté de droit, UniNE, N° 0442783
Contacts ultérieurs de Mossadegh avec la Faculté
[La famille Ott ne conserve pas de document concernant Mossadegh]
Domiciles de Mossadegh
Le stage d’avocat
La demande de naturalisation
Les enfants de Mossadegh à Neuchâtel de 1914 à 1920
Le couple Mossadegh vivait à Neuchâtel avec ses trois enfants [un quatrième, Yahya naquit le 24 mai 1912 et mourut le 1er septembre de la même année. Archives de la Ville. Etat civil. Registre des Décès n°27, fol. 132 acte 191. Les enfants Mossadegh furent scolarisés à Neuchâtel et participèrent à la vie sociale. En atteste un «Carnet du bal de jeunesse du 6 mars 1912» (Cours Richème) dans lequel Ashraf a inscrit plusieurs fois son nom. Neuchâtel. p.p.]
Au départ de leurs parents pour la Perse en juillet 1914, les deux aînés, Ashraf et Ahmad, furent confiés à Alfred Perrenoud, agent d’assurance, et à sa femme Bertha, domiciliés Place Pury 4, qui les avaient déjà hébergés pendant le voyage de leurs parents en Perse de septembre 1913 à janvier 1914. Des rôles de classe mentionnent ces enfants dans les écoles de Neuchâtel. Ainsi :
1918-1919 : Etat nominatif des classes. IIIe latine A, Mossadegh Ahmad, né le 10 février 1905. Retiré de cette classe le 28 avril 1920.
Le passage de Mossadegh à Neuchâtel en 1920
Alors qu’il est en Suisse depuis le 8 juin 1919, Mossadegh se trouve en situation irrégulière à Neuchâtel au printemps 1920. Il doit obtenir une prolongation de son permis de séjour échu. Reparti pour la Perse fin avril, il est contraint de rebrousser chemin à Tiflis et connaît à Neuchâtel de nouvelles difficultés avec la police des étrangers avant de regagner Téhéran, où il a été nommé dans l’intervalle ministre de la justice.
Le conseiller d’Etat Ernest Béguin à l’office central de la Police des étrangers. A reçu de Mossadegh, qui devra repartir d’un jour à l’autre pour la Perse, sa mère étant malade, une demande de prolongation du permis de séjour jusqu’au 15 juin. L’entrée en Suisse a eu lieu le 8 juin 1919. La police cantonale a dressé un rapport sur les contraventions commises. Demande le renvoi par retour du courrier du passeport régularisé.
20 mars au 21 juin 2015
Lieu
Bâtiment principal
Avenue du 1er-Mars 26
2000 Neuchâtel
Informations
Sources