12 décembre 24

Solution écologique contre champignons pathogènes

Communiqué de presse

Des chercheuses de l’Université de Neuchâtel, de la HE-Arc Ingénierie et du FiBL (Institut de recherche en agriculture biologique) se sont unies pour développer des moyens ciblés et durables de lutte contre des champignons pathogènes du sol, sans affecter l’environnement. Au bénéfice d’une offre d’encouragement du Fonds national suisse, leur projet collaboratif débutera en janvier 2025 pour une durée de quatre ans, avec un soutien de 1,9 million de francs.

Chaque année, les pathogènes fongiques sont responsables de 13% de pertes agricoles dans le monde. Les fongicides de synthèse constituent le moyen de lutte le plus efficace, mais présentent comme principaux inconvénients le développement de résistances et des effets nocifs sur les écosystèmes et la santé humaine. Pour éviter ces écueils, on peut se tourner vers des moyens de lutte alternatifs existant sur le marché : les biofongicides. Leur efficacité reste toutefois inférieure à celle des fongicides de synthèse. En particulier dans le sol, où la présence d’une grande diversité de microbes limite leur croissance, leur dispersion et leur action. Voilà pourquoi trois chercheuses de l'Université de Neuchâtel, de la HE-Arc Ingénierie et du FiBL se lancent dans la mise au point d'une stratégie alternative plus efficace contre des cibles bien définies.

Laitues et endives

Parmi les moisissures à combattre figure en premier lieu le rhizoctone brun (aussi appelé pourriture basale) qui infecte les laitues. Les pertes en cas de saison particulièrement défavorable peuvent atteindre presque 100% de la récolte. « Nous avons aussi identifié avec l’aide de l’Office technique maraîcher (OTM), un de nos partenaires dans ce projet, une autre cible fongique potentielle: la sclérotiniose (Sclerotinia sclerotiorum), une maladie qui touche notamment les endives », indique Saskia Bindschedler, professeure de microbiologie à l’Université de Neuchâtel (UniNE). 

D’autres maladies cibles viendront s’ajouter au cours du projet, en poursuivant les consultations des producteurs et productrices de légumes, afin de mieux comprendre leurs besoins et développer la formulation pour y répondre. Ces rencontres seront organisées par le FiBL en collaboration avec le CEDD-Agro-Eco-Clim, un centre qui promeut une agroécologie durable dans l’Arc jurassien et dont Jérémie Forney, professeur d’agroécologie à l’UniNE, assure la co-direction.

Mais comment s’y prendre pour neutraliser ces organismes indésirables ? Il faut d’abord identifier le mélange actif, à base de bactéries bénéfiques, susceptible de contrer le champignon pathogène. Et pour l’amener à bon port, la stratégie s’appuie sur une découverte en écologie microbienne du sol sur laquelle Saskia Bindschedler et ses collègues de l’UniNE travaillent actuellement. Il s’agit du rôle des hyphes, les filaments des champignons, qui forment dans le sol un réseau que certaines bactéries peuvent emprunter pour se déplacer. Ce phénomène, appelé autoroutes fongiques, servira à transporter les bactéries bénéfiques jusqu’aux racines des plantes à protéger, en évitant des risques de pertes le long du trajet.

Microcapsules en alginate et chitosan

En pratique, les bactéries bénéfiques, associées à un champignon-autoroute, sont enfermées dans une microcapsule, le temps que tous deux parviennent à leur environnement cible. Une fois dans le sol, le champignon-autoroute pourra briser la barrière de la microcapsule et déployer ses hyphes, créant ainsi un pont pour permettre aux bactéries d’atteindre leur cible.

La microencapsulation sera assurée par le groupe d’Alexandra Kämpfer-Homsy, professeure à la HE Arc Ingénierie, en utilisant des matériaux totalement naturels. « Nous allons développer un dispositif permettant de piéger les bactéries-champignons dans des microgouttelettes d'alginate, un gel naturel, précise la spécialiste en microfluidique. Ces gouttelettes seront ensuite encapsulées dans du chitosan, substance dérivée de la chitine, composant principal de la carapace des crevettes par exemple. » Le principal défi sera ensuite d'améliorer la fiabilité du procédé, puis d'augmenter le volume de production pour une future industrialisation de la formulation.

Combinaisons efficaces

À l’UniNE, l’équipe emmenée par Saskia Bindschedler aura notamment pour mission d’isoler des combinaisons efficaces champignon-bactéries. « Par efficace, nous entendons bien sûr une capacité à inhiber la croissance du pathogène fongique cible, une absence d’interactions antagonistes entre les deux types d'organismes, une capacité d’interaction avec une autoroute fongique et enfin des caractéristiques bénéfiques pour la croissance des plantes à protéger », indique la professeure de biologie. Un autre rôle important sera de vérifier l’innocuité environnementale du procédé. En clair, s’assurer que les bactéries et le champignon inoculés, en colonisant les racines de la plante à protéger, ne prennent jamais le dessus sur le reste de la communauté microbienne.

Finalement, le projet entamera une phase d’application, dans laquelle l’expertise du FiBL sera sollicitée. Natacha Bodenhausen, chercheuse en sciences des sols, y testera, via des expériences en pot et en champ, avec également l’aide de l’OTM et de la Fondation rurale interjurassienne (FRI), l’efficacité des microbes bénéfiques contre les champignons pathogènes. Puis, après l’inoculation des microcapsules en champ, l’institut procédera au suivi génétique des communautés microbiennes qui se développeront aux alentours des racines des plantes à protéger, afin de s’assurer que l’environnement non ciblé par le remède soit bien préservé.