Une équipe d’hydrogéologues de l’Université de Neuchâtel (UniNE) a étudié l’impact des cycles de gel et de dégel d’un glacier rocheux situé dans le Val d’Ursé (Grisons) sur la dynamique des eaux souterraines. Publiés dans la revue spécialisée Hydrology and Earth System Sciences, ces résultats s’inscrivent dans le cadre du projet européen Waterwise, coordonné par l’UniNE.
L’étude de l’UniNE révèle de nouvelles interactions entre l’hydrogéologie (la science des eaux souterraines) et la cryosphère, qui regroupe toutes les milieux contenant de l’eau gelée, allant des banquises jusqu’aux glaciers. Elle est le fruit du travail de master de Cyprien Louis, sous la supervision de Clément Roques et de Landon Halloran, maîtres-assistants au Centre d’hydrogéologie et de géothermie de l’Université de Neuchâtel (CHYN).
Forage à 200 m de profondeur
Dans le Val d’Ursé (région du Valposchiavo), l’équipe de l’UniNE bénéficie d’un observatoire unique, où des stations automatiques mesurent en continu les paramètres hydrologiques depuis plus de dix ans, notamment grâce à un forage de 200 m de profondeur situé à proximité du glacier rocheux. Ces données continues sont complétées par des campagnes régulières de prélèvement des eaux dans différents points de l’observatoire. L’analyse combinée de ces données permet de mieux comprendre la dynamique hydrologique tant à l’échelle journalière qu’entre l’été et l’hiver.
En analysant des images aériennes du glacier rocheux, les chercheurs ont mis en évidence une augmentation conséquente de la vitesse de déplacement vers la vallée de la langue de roche et de glace depuis les années 2005. Cette vitesse passe d’une moyenne de 40 cm/an entre 1992 et 2003 pour atteindre en certains points un pic à plus de 70 cm/an en 2019 et 2022.
Vagues de chaleur
«Cette accélération reflète l’impact soutenu des vagues de chaleur et des sécheresses répétées, ainsi que celui de l’augmentation constante des températures moyennes dans la région, avec un réchauffement d’environ 2°C par rapport aux années 2000. Ces conditions accélèrent la fonte de la glace contenue dans la masse rocheuse qui se reflète dans ce déplacement», précise Clément Roques.
La collecte massive de données, allant des images satellites de la zone étudiée jusqu’à des mesures de concentrations en sels minéraux dans les eaux de source, a permis d’établir un modèle conceptuel du fonctionnement cryo-hydrogéologique actuel de la langue rocheuse. Cependant, prédire l’avenir des régimes hydrologiques dans un contexte où le glacier rocheux aura perdu son volume de glace reste complexe, car cela nécessite l’utilisation de modèles mathématiques sophistiqués.
«Notre équipe développe actuellement ces outils pour mieux appréhender les trajectoires hydrologiques possibles en intégrant différents scénarios climatiques, poursuit le chercheur. Ce qui est certain, c’est que l’eau stockée en profondeur dans le milieu géologique jouera un rôle central de réservoir dans un futur où la neige et les glaciers n’assureront plus pleinement cette fonction. Comprendre les contributions de ce réservoir invisible, souvent négligé, est essentiel pour aborder la question de la ressource en eau dans les Alpes.»
Le travail de terrain mené au Val d’Ursé s’inscrit dans le projet européen Waterwise qui a pour objectif de répondre aux conséquences du dérèglement climatique sur la gestion des ressources en eaux dans l’Arc alpin. «Dans les Alpes, la hausse des températures et les phénomènes météorologiques extrêmes menacent les cours d'eau et les nappes phréatiques», rappelle Clément Roques, coordinateur général de Waterwise et maître-assistant à l’Université de Neuchâtel.
Ces changements ont un impact sur la biodiversité et affectent l'agriculture, l'hydroélectricité, l'approvisionnement en eau et le tourisme, indique le site web du projet. Waterwise entend sensibiliser le public à la vulnérabilité de l'eau dans les Alpes et fournit des conseils visant à améliorer l'aménagement du territoire dans ce sens. Commencée en 2024, l’initiative mobilise douze organismes en Suisse, Italie, France, Allemagne, Autriche et Slovénie. Doté d’un budget total de près de 2,7 millions d’euros, Waterwise se terminera en 2027.
Waterwise est co-financé par l’Union européenne via le programme Interreg Alpine Space.