15 décembre 25

En groupe, les chimpanzés dorment plus longtemps

Communiqué de presse

Contrairement à d’autres primates, les chimpanzés dorment plus longtemps lorsqu’ils sont en groupe que tout seuls. Mais la durée du sommeil de certains individus varie considérablement suivant la composition du groupe. Ces constats sont tirés d’une vaste étude du sommeil chez les chimpanzés dans leur habitat naturel. Dirigée par le Laboratoire de cognition comparée de l’Université de Neuchâtel, la recherche vient d’être publiée dans la revue Current Biology.

Chez beaucoup d’espèces, le sommeil peut être vu comme un compromis biologique. D’un côté, il apporte de nombreux bénéfices pour l’organisme: il renforce le système immunitaire, améliore les capacités cognitives et aide le cerveau à «faire le ménage». Mais de l’autre, dormir empêche de faire des choses essentielles comme chercher de la nourriture, se reproduire, éviter les prédateurs ou encore interagir avec les autres membres du groupe. 

«On peut donc imaginer que les animaux ajustent leur sommeil en fonction des coûts et des avantages propres à chaque situation rencontrée. Plus particulièrement, le contexte social peut affecter le sommeil chez les espèces sociales», relève Clara Hozer, première auteure de l’étude et post-doctorante à l’UniNE à l’époque de ces travaux.

Dormir seul ou en groupe, la proportion de mâles et de femelles, la présence d’une femelle en période d’ovulation, ou encore le rang social sont autant de paramètres susceptibles d’influencer la durée et l’architecture du sommeil des individus.

Dans la forêt en Ouganda

«Chez les chimpanzés, l’un de nos plus proches cousins, nous savons encore très peu de choses sur leur sommeil en milieu naturel, constate la primatologue. Les connaissances disponibles se limitaient jusqu’ici à la construction quotidienne d’un nid pour la nuit et à une activité nocturne terrestre relativement faible, modulée par certains facteurs environnementaux. En revanche, aucun travail ne s’était encore penché sur l’influence du contexte social.»

Pour en apprendre davantage, Clara Hozer et ses collègues ont suivi pendant plus d’un an une communauté de chimpanzés sauvages (Pan troglodytes schweinfurthii) vivant dans la forêt de Budongo, en Ouganda. «Nous avons mis au point un système de caméras infrarouges installées au bout d’une perche télescopique, ce qui nous a permis de filmer discrètement ce qui se passait dans les nids pendant la nuit», poursuit la scientifique.

Les mâles dominants dorment moins

Leur première observation montre que les mâles les plus hauts placés dans la hiérarchie dormaient moins longtemps et de façon plus fragmentée que les mâles de rang inférieur. Plus intéressant encore: cet effet dépendait du nombre de mâles présents dans le groupe pendant la nuit. «Plus il y avait de mâles, plus les dominants dormaient peu. Cela pourrait s’expliquer par une forme de vigilance du groupe ou par un effet de compétition, les mâles dominants se réveillant davantage pour surveiller d’éventuels rivaux.»

Femelles en ovulation

Clara Hozer et ses collègues ont aussi découvert que, contrairement à ce qui a été observé chez d’autres primates, les chimpanzés dormaient plus longtemps – environ 20 minutes de plus par nuit – lorsqu’ils dormaient en groupe plutôt que seuls. Et cela, malgré le fait que dormir en groupe retardait l’heure de coucher chez les femelles et avançait l’heure de réveil chez tous les individus. «Il est possible que dormir en groupe procure un sentiment de sécurité et réduise ainsi les réveils nocturnes», explique Clara Hozer. 

Enfin, la présence d’une femelle en période d’ovulation avait un effet globalement négatif sur le sommeil, surtout chez les mâles: plus de réveils nocturne, heure de coucher plus tardive, heure de réveil avancée. «Ici, l’explication la plus simple est probablement la bonne: les mâles réduisent leur sommeil pour maximiser leurs chances de s’accoupler.»

Ces travaux sont les premiers à directement mesurer le sommeil chez un grand singe en milieu naturel. Ils confirment que sa durée, sa fragmentation et son timing varient grandement en fonction du contexte social. Ces résultats soulèvent de nouvelles questions: les mâles dominants, qui dorment très peu en présence d’autres mâles, en paient-ils le prix sur le plan cognitif ou physiologique, à court ou à long terme? Ou parviennent-ils à compenser ce court sommeil en faisant plus de siestes la journée, ou en ayant un sommeil plus profond et donc plus efficace la nuit? Et les mâles qui dorment le moins sont-ils réellement ceux qui s’accouplent le plus? Autant de pistes passionnantes, qui méritent de futures recherches!