29 septembre 25

Des amibes indicatrices de présence de tourbe

Communiqué de presse

En Suisse, l’extraction de tourbe de nos marais est interdite depuis 1987. Cependant, rien n’empêche son importation. On estime que les volumes importés, servant notamment à enrichir les terreaux pour jardin, peuvent atteindre 500’000 mètres cube par an. Afin de détecter la tourbe dans n’importe quel substrat, une équipe de l’Université de Neuchâtel (UniNE) et de l’Institut fédéral de métrologie (METAS) a développé une nouvelle méthode, basée sur la présence d’amibes.

C’est un rapport rédigé sur mandat de l’OFEV (Office fédéral de l’environnement) et publié début septembre qui nous l’apprend. Une nouvelle méthode de détection de la tourbe dans différents substrats est désormais disponible, mise au point, côté METAS, par Lena Märki et Serge Zaugg, et, côté UniNE, par Camille Vögeli et Edward Mitchell, du Laboratoire de biodiversité du sol.

Accumulation lente

La tourbe se forme par accumulation lente de matière organique dans des environnements saturés d’eau, d’où sa présence naturelle dans les marais. De ce fait, les tourbières jouent un rôle clé dans la régulation du climat en accumulant d’immenses quantité de carbone. Elles contribuent aussi à la conservation de la biodiversité et à la régulation des eaux. Elles doivent donc être protégées.

Or la tourbe est encore exploitée en grande partie comme substrat de croissance pour les plantes ornementales et les plantons de culture maraichère. Aujourd’hui, de nombreux pays, dont la Suisse, cherchent des alternatives à l’utilisation de la tourbe et proposent d’en interdire la vente. Mais pour interdire, il faut pouvoir certifier. C’est le but du projet de recherche mené par l’UniNE et METAS. 

«Nous proposons une méthode de détection basée sur l'identification de micro-organismes spécifiques à la tourbe appelés amibes à thèque», indique l’équipe de recherche dans le rapport publié le 4 septembre dernier. Ce groupe de micro-organismes unicellulaires produit des coquilles qui peuvent être préservées dans la tourbe pendant des milliers d'années. Elles sont par conséquent de bons indicateurs biologiques de sa présence.

L’IA en aide

En pratique, il s’agit d’identifier au microscope la présence d’amibes à thèque prélevées dans des échantillons de terre. L’opération restant fastidieuse et les expert-e-s capables de reconnaître ces unicellulaires ne courant pas les rues, les scientifiques de l’UniNE et de METAS recourent à un système d’aide à la décision qui a été entraîné selon la méthodologie utilisée pour l’intelligence artificielle (IA).
Il s’agit d’une procédure d'apprentissage automatique que le logiciel de reconnaissance acquiert à partir de grandes collections d’images représentant des amibes à thèque. Deux espèces ont pu être ainsi sélectionnées en vue de servir d’indicateurs finaux. La performance de détection a été jugée bonne.

«Notre système d'aide à la décision peut traiter des milliers d'images en quelques minutes, aidant ainsi un opérateur humain à décider rapidement si de la tourbe est présente dans un échantillon», se réjouit l’équipe de l’UniNE et de METAS. 

Au niveau national

Par ailleurs, le Laboratoire de biodiversité du sol poursuit son action de protection des tourbières dans le cadre du Programme national de recherche (PNR) 82 «Biodiversité et services écosystémiques». Edward Mitchell s’inquiète des menaces pesant sur cet écosystème. «La plupart des anciennes tourbières sont drainées et exploitées pour l'agriculture, ce qui libère du CO2 et affecte la qualité des eaux souterraines. Le changement climatique menace davantage la conservation des tourbières et la production agricole». 

Pour lui, la réflexion doit dépasser les spécialistes de l’environnement. Afin de préserver à long terme des sols tourbeux de plaine et de montagne suisses, le professeur de biologie souhaite développer une gestion polyvalente durable englobant l’ensemble les acteurs concernés. À savoir les domaines de l'agriculture, des eaux souterraines, de la biodiversité et du cycle du carbone, ainsi que les spécialistes de l’économie. Il a ainsi lancé dans le cadre du PRN 82 un projet multidisciplinaire impliquant les instituts de biologie, de chimie, le centre d’hydrogéologie et de géothermie, tous de l’UniNE, et Pro Natura. Les travaux vont commencer en octobre et se termineront fin septembre 2029.