10 février 25

Des amibes à coquille ont enfin leur monographie

Communiqué de presse

Vingt ans ! C’est le temps qu’il a fallu au professeur Edward Mitchell et à son équipe du Laboratoire de la biodiversité du sol pour actualiser la classification d’une des principales familles d’amibes à coquille, comprenant une centaine d’espèces. Pour couronner ce travail de bénédictin, un ouvrage richement illustré vient de paraître aux éditions Alphil. Il est présenté aujourd’hui à une conférence internationale de protistologie, une science regroupant l’étude d’organismes en majorité microscopiques très divers, des amibes aux parasites en passant par les algues. L’événement se tient jusqu’à vendredi à l’Université de Neuchâtel.

« C’est la première monographie des Hyalospheniidae publiée depuis 1936 », s’enthousiasme Edward Mitchell. Il s’agit d’une compilation de tout ce qu’on sait sur la taxonomie de cette famille qui fait partie des thécamibes. Ce groupe a pour la principale caractéristique de produire une coquille appelée thèque. « Le plus souvent, poursuit le professeur de biologie, la thèque a une forme de bouteille plus ou moins allongée assez transparente, avec des éléments recyclés et juxtaposés à la manière d’un vitrail. » Ce rendu visuel provient en général des proies que l’unicellulaire a ingurgitées, vu son rôle de prédateur de micro-organismes (voir encadré). 

Les descriptions de la centaine d’espèces figurant dans la monographie ont été minutieusement passées en revue. Le Laboratoire de biodiversité du sol, et surtout la première auteure de l’ouvrage, Anush Kosaykan, ont réalisé l’essentiel du travail de base. Cela concerne en particulier les analyses moléculaires et phylogénétiques, autrement dit relatives aux arborescences visualisant les liens de parenté des organismes entre eux. « Cela fait vingt ans que nous travaillons en priorité sur ce groupe d’amibes. Ce livre est la suite logique de tout ce travail », note encore Edward Mitchell. Dans cette monographie, le statut de chacune des espèces décrites a été révisé. Certaines se sont vu recalées au rang de synonyme, tandis que des variétés ont été élevées au rang d’espèce.

Alliée à une algue

Pour la couverture, les biologistes ont choisi de mettre en lumière Hyalosphenia papilio. Décrite au 19e siècle, elle reste une des rares amibes à vivre en symbiose avec une algue. David Singer, un ancien doctorant de l’UniNE, son directeur de thèse de l’époque et co-auteur du livre Enrique Lara ont cependant découvert au moins quatorze espèces vivant dans des tourbières qui présentaient cette alliance gagnant-gagnant : l’algue via la photosynthèse produit des nutriments et de l’oxygène utiles à l’amibe qui, en retour, offre un environnement protégé pour l’algue.

Autre coup de cœur d’Edward Mitchell : Apodera angatakere qui possède une quille sur le pourtour de sa coquille. Décrite superficiellement et ignorée pendant 92 ans, elle fut remise au goût du jour à la faveur de son séjour scientifique en Nouvelle-Zélande. Avec au passage un joli clin d’œil au peuple maori, puisque angatakere signifie « coquille avec une quille » dans leur langue. L’espèce est à voir ces jours au Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel, à l’enseigne de l’exposition « Nommer les natures – histoire naturelle et héritage colonial ».

A la base de la chaîne alimentaire

Evoluant dans un large éventail d’écosystèmes, allant des tourbières aux forêts, en passant par les plaines inondables, les amibes, de par leur place de prédatrices de microorganismes, constituent une faune unicellulaire essentielle dans la chaîne alimentaire de la planète.  D’une taille variant entre 5 et 500 microns, les plus petites consomment essentiellement des bactéries, alors que les plus grandes peuvent s’attaquer, parfois en groupe, à des organismes plus imposants qu’elles (des invertébrés comme les nématodes ou les rotifères par exemple). Les amibes raffolent également de champignons, d’algues unicellulaires ou coloniales, ou d’autres amibes, ainsi que de flagellés et de ciliés. A noter enfin que, de même que les mammifères urinent, les amibes excrètent leur excédent d’azote, un composé que les plantes utilisent pour leur croissance. Un sol avec une grande diversité et abondance de microorganismes, y compris d’amibes, sera donc plus fertile.

Cela peut aussi vous intéresser…

Actualités

10.02.25

L'UniNE, une référence mondiale de l'étude des amibes

Interview d'Edward Mitchell, professeur ordinaire, Laboratoire de biodiversité du sol