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Langage, sens, cognition

L'équipe Langage, sens, cognition du Centres de sciences cognitives de l'université de Neuchâtel concentre ses recherches sur trois niveaux:

  • l'explication par les outils de la pragmatique cognitive de faits linguistiques et pragmatiques (documentés ou inédits);
  • la contribution au développement théorique en sémantique et pragmatique, et plus largement en linguistique générale et dans les domaines adjacents en sciences du langage;
  • la recherche sur les fondements cognitifs des mécanismes du discours et de la communication humaines.

Les thèmes principaux de recherche ayant donné lieu à des publications et communications concernent:

  • l'interface grammaire-pragmatique (par la notion d'expressions procédurales) en particulier au regard de connecteurs discursifs et de morphèmes spécifiques (temps et modes verbaux, verbes modaux) et d'usages inattendus et en particulier métareprésentationnels de ces morphèmes.
  • La représentation linguistique du temps en français et dans les langues Indo-Européennes
  • La compréhension d'effets pragmatiques de haut niveau: discours et pensée rapportée, ironie, effets euphémistiques...
  • La relation cognitive entre compréhension de l'argumentation et attitude épistémique

Du point de vue méthodologique, la pragmatique que nous développons appartient au paradigme classique de la linguistique d'une part (maniement de paires), mais intègre des éléments de corpus réel (en particulier en ce qui concerne le discours) et développe un volet expérimental, en collaboration avec le llaboratoire de linguistique appliquée de l'Université de Cambridge.

Des thèmes de recherche spécifiques permettent de travailler transversalement sur ces différents niveaux. Un projet de recherche actuellement soumis aura par exemple pour objectif, en collaboration avec des partenaires (Université de Fribourg, Université de Lugano, Université de Bâle, University of Virginia Tech) d'étudier l'impact de contextes impliquant un risque (en l'occurence: de santé) sur le traitement de l'information verbale.

Le premier axe de recherche concerne la description et l'explication de faits traditionnellement conçus comme proprement linguistiques mais qui peuvent être envisagés comme faisant intervenir des processus inférentiels pragmatiques.

Ces recherches se concentrent sur des thèmes qui concernent:

  • des types d'expressions ou de morphèmes, comme:
    •  les marqueurs temporels (typiquement les temps verbaux),
    • les verbes modaux,
    • les connecteurs (en particulier les connecteurs temporels en usage argumentatif),
    • les verbes introducteurs de discours rapporté,
    • les déictiques
    • le marquage de la source de l'information (l'évidentialité).
       
  • des types d'interprétation, comme l'ironie ou la métaphore.

Un projet de recherche terminé en 2009 a été notamment consacré à l'étude des effets argumentatifs et plus généralement non temporels de connecteurs et d'adverbes habituellement considérés comme temporels.

Un projet de recherche est en cours d'élaboration sur l'analyse pragmatique systématique des temps verbaux de l'italien sur le modèle de l'analyse procédurale réalisée en français dans Saussure (2003).

Le deuxième axe de recherche concerne le développement de la théorie pragmatique et en particulier l'interface sémantique (ce qui est fourni par le code) - pragmatique (ce qui est inféré selon des principes cognitifs généraux).

Nous travaillons plus spécifiquement sur des questions de recherche qui peuvent se formuler ainsi:

  • Comment expliquer le haut niveau d'agrégation d'informations sémantiques provenant de bases grammaticales avec des inférences spécifiques? Pour y répondre, nous travaillons sur la distinction entre contenu conceptuel, impliquant des contenus représentationnels, et contenu propositionnel, impliquant des opérations spécifiques (c'est-à-dire non génériques) sur ces contenus, dans la lignée des travaux de Ducrot et de la théorie de la pertinence, en particulier Blakemore.
  • Comment tracer la frontière, si tant est qu'elle est réellement pertinente, entre les contenus stables (codiques) et les contenus instables (dépendants du contexte)? La séparation Gricéenne entre le dit et l'implicité n'est pas valide empiriquement, comme l'a montré une abondante littérature en pragmatique, car même ce qu'on classe dans le dit est largement sujet à variation contextuelle, et donc à enrichissement pragmatique. A Neuchâtel, nous tentons de distinguer entre le contenu littéral (vériconditionnel), explicite (enrichi mais non-rétractable logiquement) et implicite (enrichi et rétractable logiquement). Notre recherche conduit toutefois à creuser le critère d'engagement du locuteur (ou: speaker commitment) et à comprendre à quelles conditions un locuteur est tenu pour avoir manifesté intentionnellement un contenu. Cette recherche tente d'expliciter que même des contenus implicites suscitent une réaction de jugement de mauvaise foi en cas de rétractation, et c'est le point de vue du destinataire que nous adoptons pour creuser cette question. Cette recherche soulève en retour de nouvelles questions, à propos notamment de la manière dont nous attribuons des contenus à diverses instances dans le cas du discours rapporté. Ces points font d'ailleurs le lien avec des recherches portant plus spécifiquement sur le discours et la persuasion, à travers des sophismes qui jouent spécifiquement sur ces aspects (sophisme de l'homme de paille; sophisme de l'argument d'autorité).

Le troisième axe de recherche concerne ce qu'on appelle le discours. Sous l'angle cognitif, dès qu'on dispose d'une théorie inférentielle, rien ne distingue les "discours", au sens de séries non arbitraires d'énoncés, des énoncés simples des conversations ordinaires. Dans les deux cas, chaque énoncé est porteur d'un sens plus large que ce que la phrase ne donne en elle-même, notamment parce que les énoncés sont contextualisés. Comme l'ont montré Reboul et Moeschler (1998), ce qui distingue le discours, c'est l'existence d'une intention de sens, un vouloir-dire, global, auquel chaque énoncé contribue localement; cette intention de sens générale est atteinte par la dynamique de la contextualisation linéaire: chaque énoncé produit un élément pertinent pour la contextualisation des suivants et donc pour les inférences que les suivants permettront de tirer. Nous nous situons donc dans une perspective pour laquelle il n'y a pas de sens à considérer qu'un discours est une simple "structure" observable a posteriori ni qu'un discours est davantage que ses parties que sont les énoncés. Un discours est tout simplement une série ordonnée d'interprétations en vue d'un sens général; un discours n'a pas de propriété émergente propre en dehors des objectifs qu'il peut servir.

Un discours sert néanmoins souvent l'objectif de convaincre ou persuader, parfois à l'aide de moyens que la pragmatique cognitive peut contribuer à évaluer. Notamment, les catégories traditionnelles ou moins traditionnelles des sophismes ont leur fondement dans des processus cognitifs de traitement rapide de l'information. Un projet de recherche en collaboration avec l'Université de Fribourg est en cours d'élaboration à ce sujet, avec un volet expérimental.

Du point de vue naturaliste, le langage humain est naturel, c'est-à-dire qu'il est avant tout une manifestation d'aptitudes cérébrales. Le langage naturel humain se rencontre dans les langues naturelles humaines qui partagent toutes des propriétés essentielles, au niveau de leur syntaxe et de leur morphologie, et qui en font toutes des langues qui se distinguent collectivement des autres systèmes de communication animaux et humains (codes routiers, gestes, etc.). Toute communication verbale repose sur une dimension informationnelle, avant de pouvoir remplir aussi d'autres fonctions, parfois d'ailleurs effectivement visées, comme la bonne gestion des relations entre individus, l'anticipation des comportements, l'influence, etc.

Les langues sont donc avant tout des structures formelles qui sont exploitées pour la mise en oeuvre de la communication humaine. Néanmoins, une langue ne "code" pas intégralement le message voulu: les langues ont un répertoire limité de mots et aucune phrase ou presque ne dit exactement ce que nous voulons communiquer. Le langage est donc un indice, efficace mais insuffisant en lui-même, du vouloir-dire dans les circonstances. Comprendre cet "indice" relève du travail de la linguistique proprement dite: phonologie, syntaxe, morphologie, sémantique. Comprendre la communication verbale, c'est-à-dire le sens, relève de la pragmatique, qui rend compte des opérations qui conduisent à la compréhension, mais aussi à l'acceptation ou à l'influence. La pragmatique fait ainsi le lien entre le langage, la communication et les relations interindividuelles. Se faire comprendre nécessite donc la maîtrise d'un code linguistique mais aussi la connaissance implicite des mécanismes humains de l'inférence, et l'anticipation d'états mentaux et de comportements d'autrui.

La question des fondements cognitifs (et non purement sociaux-conventionnels) du langage, ancienne, a connu plusieurs impulsions fondamentales au cours du XXe siècle. En particulier, sous l'influence pobable de Jakobson (son maître et ami au MIT), lui-même héritier de Saussure, Noam Chomsky a démontré dans les années cinquante le caractère autonome de la syntaxe et l'existence de principes systématiques et stables sous-jacents aux formes ou structures syntaxiques à travers les langues. La conséquence scientifique la plus plausible de ces propriétés de la syntaxe est son inscription dans l'architecture cognitive humaine, indépendamment de tout aspect signifiant du langage. C'est donc d'abord par une meilleure compréhension des formes syntaxiques qu'est né le programme des sciences cognitives, en particulier sur le langage. Par syntaxe, on entend un type d'architecture formelle qui repose sur un ensemble fini de règles permettant de générer un nombre infini de phrases, elles-mêmes de longueur et de complexité indéfinie, d'où la survenue constante dans les échanges humains de phrases constamment nouvelles et n'ayant jamais existé, de subordonnées, etc. Il s'agit-là apparemment d'un spécifique de l'humain, dont les fondements évolutionnaires ne sont pas encore connus malgré l'avancée des connaissances sur les systèmes communicationels animaux, les progrès de la génétique et de la connaissance des hominidés. 

Le lexique, en particulier cette partie du lexique qui concerne des éléments logiques ou grammaticaux, présente de remarquables régularités à travers les langues et suggère là aussi l'existence de contraintes fortes exercées par l'architecture de la cognition sur celle des langues. Deux exemples que donne F. Newmeyer dans un article récent: aucune langue du monde connue ne marque la négation par un changement d'intonation (alors que c'est courant pour marquer la question); aucune langue n'a de mot pour dire "pas tous" (en face de "la plupart de", "tous", "aucun", "quelques"...) alors que l'idée d'une quantité non totale est quotidiennement utile dans la communication; aucune langue n'a d'adjectifs pour les formes sans avoir aussi des adjectifs pour la couleur et la taille, mais pas l'inverse, etc. De telles régularités, mais il y en a quantité d'autres, suggèrent que les contraintes cognitives priment sur les nécessités de la communication, et convergent avec la position classique selon laquelle l'évolution n'est pas téléologique (le langage n'est donc pas de nécessités communicationnelles ou sociales, mais il les a satisfaites, voire suscitées, tout en présentant d'énormes avantages variés). A ce jour, plus de 2000 universaux du langage ont été répertoriés, et bien que beaucoup d'entre eux suscitent des débats ou manquent d'une réelle assise empirique, les universaux syntaxiques sont relativement bien documentés aujourd'hui. Le plus connu des universaux du lexique est sans doute le cas des termes de couleur qui a suscité une littérature innombrable.

Aujourd'hui, l'intérêt pour une sorte de biologie du langage s'est largement étendu, au sein des sciences cognitives, hors du domaine de la syntaxe. Sous l'impulsion de la philosophie de l'esprit, la pragmatique, au sens de langage en contexte ou en usage, s'est affranchie de la logique "pure" (relativement apte à expliquer la signification des phrases hors contexte) pour chercher à comprendre la compréhension en discours réel et en particulier les principes cognitifs qui sous-tendent la contextualisation des énoncés. Le sens étant en effet systématiquement plus complexe et plus riche que ce que les formes linguistiques encodent par elles-mêmes, la conclusion que tire la pragmatique cognitive aujourd'hui, et en particulier la théorie de la pertinence de Sperber & Wilson, qui forme notre ancrage théorique principal, est que les langues naturelles humaines sont sémantiquement sous-déterminées (on pourrait dire: les phrases sont systématiquement ambiguës). Cette sous-détermination, ou ambiguïté, a de grands avantages, d'abord mémoriels: nous ne stockons qu'un nombre limité de mots et de règles. Une longue et ancienne tradition, qui considérait (et considère encore parfois) qu'à un mot correspond une "idée" ou un "concept" déterminé, est mise à mal depuis l'émergence du domaine de la pragmatique et en particulier de la pragmatique lexicale, qui cherche à saisir les opérations mentales auxquelles nous nous livrons lorsqu'un mot doit donner lieu à une représentation conceptuelle particulière dans un ensemble indéterminé de possibles, étant donné un contexte d'utilisation qui rend l'énoncé pertinent. La pragmatique cognitive admet un mécanisme cognitif économique fondamental régissant la communication humaine, langagière et non-langagière; ce mécanisme a sans doute à voir avec des aptitudes "méta-représentationnelles" humaines particulièrement dévelopées (une idée aujourd'hui très débattue, dans le cadre de discussions sur la "théorie de l'esprit" ou un quelconque analogue qui permet d'attribuer des représentations à autrui). Ce qui est en revanche très vraisemblable, c'est que l'usage du langage repose sur une aptitude cognitive à gérer non seulement la découverte des intentions de sens (vouloir-dire) mais aussi l'enchâssement des informations. Cet enchâssement est observé depuis toujours en syntaxe puisqu'il existe des propositions (subordonnées) dans d'autres propositions (principales) et que les phrases sont compliquables formellement à l'infini, une propriété connue sous le nom de récursivité. Il est également connu en sémantique dans des configurations spécifiques qui soulèvent de nombreuses difficultés techniques, comme les questions de portée de certains verbes ou mots grammaticaux, mais aussi des faits de discours rapporté par exemple. La pragmatique cognitive développe des méthodes et des concepts qui permettent de stimuler la recherche dans ces questions qui entretiennent également un rapport avec l'un des axes traditionnels de la recherche en pragmatique et qui concerne la représentation du point de vue subjectif du locuteur ou d'un tiers

  • Jean-Marc Luscher, Université de Genève, Ecole de langue et civilisation françaises (projet FNS)
  • Kent Nakamoto, Virginia Tech, Department of Marketing (projet HEART)
  • Andrea Rocci, Université de Lugano, Faculté des sciences de la communication (Institut de linguistique) (projet FNS)
  • Peter Schulz, Université de Lugano, Faculté des sciences de la communication, directeur du Laboratory of Health Communication (projet HEART)
  • Bertrand Sthioul, Université de Genève, Ecole de langue et civilisation françaises (projet FNS)
     
  • Nicholas Asher, Université du Texas à Austin (Philosophy dpt) / CNRS Toulouse
  • Marie-José Béguelin, Université de Neuchâtel (Institut de Philologie romane et linguistique française)
  • Paul Chilton, University of Lancaster (dpt of Linguistics and English Language)
  • Didier Maillat, Université de Fribourg (Département d'anglais)
  • Jacques Moeschler, Université de Genève (Département de linguistique)
  • Eddo Rigotti, Université de Lugano, Faculté des sciences de la communication (Institut de linguistique)
  • Sylviane Schwer, Université de Paris-Sorbonne (Mathématiques)
  • Izumi Tahara, Université de Genève (Département de japonais)
     
  • Mathieu Avanzi, Université de Neuchâtel (Institut de philologie romane et linguistique française)
  • Laura Baranzini, Université de Genève (Département des langues romanes)
  • Yves Scherrer, Université de Genève (Linguistique informatique