Communiqué

Patrimonialisation et transmission du savoir: une complication toute horlogère

30 mars 2015

Alors qu’il n’a jamais autant été question de patrimoine et de tradition dans les stratégies publicitaires des grandes maisons horlogères, de nombreux praticiens considèrent que la «profession est en danger».  Pour quelle raison? En quoi la transmission du métier pose-t-elle aujourd’hui problème? Telles sont quelques-unes des questions que soulève la thèse de doctorat en sciences humaines et sociales soutenue ce lundi 30 mars 2015 à l’Université de Neuchâtel. L’ethnologue Hervé Munz y démontre que, contrairement aux idées reçues, la prolifération des pratiques patrimoniales renforce aujourd’hui un sentiment de perte du savoir-faire chez les horlogers.

Elles semblent inhérentes à l’histoire de l’horlogerie suisse. Pourtant, les notions de tradition et patrimoine qui lui sont désormais assignées sont récentes. « Elles ont été inventées dans les années 1980, suite à la crise du quartz», précise d’emblée Hervé Munz. «Pour contrer la concurrence étrangère, l’horlogerie mécanique suisse a dû «réenvelopper» les qualités qui avaient fait jusque-là sa réputation, telles que la précision ou le rapport qualité/prix, dans d’autres valeurs. En capitalisant sur un passé prétendument continu, les marques ont réussi à authentifier leur production de montres mécaniques à complications et à la repositionner dans la gamme du luxe.»

Erigée en fer de lance du marketing des marques horlogères, la notion de patrimoine va progressivement s’avérer à double tranchant pour les praticiens. Si, dans un premier temps, une acception «artisanale» et «complète» du métier est revalorisée grâce et au nom de la tradition, le succès des montres mécaniques de luxe va rapidement nécessiter une industrialisation massive et une parcellisation de leur production pour répondre à la demande croissante du marché. Conséquences? L’art de l’ajustement «manuel» des composants et les diverses techniques de rhabillage des montres qui forment le «cœur» de la profession horlogère vont se retrouver au fil des ans sur le carreau. «C’est le grand paradoxe: alors que l’industrie du luxe se gargarise d’horlogerie traditionnelle et de métiers d’art ancestraux, les horlogers ont le sentiment qu’elle se moque de leur conception du métier et de leurs compétences», relève Hervé Munz. C’est du moins ce qui ressort des 300 entretiens qu’il a menés auprès des acteurs du monde horloger de l’Arc jurassien durant quatre ans. «Pour les gens de métier, le patrimoine n’est souvent qu’un argument de vente utilisé par les grandes maisons. Non seulement la production mécanique de luxe a été en grande partie automatisée, provoquant l’abandon de procédés anciens, mais l’industrie horlogère s’investit peu dans la formation initiale – seuls 40% des apprentis de la branche sont formés en entreprise.» Autrement dit: à rebours des théorisations usuelles, selon l’avis de certains horlogers, la valorisation du patrimoine est devenue un facteur indirect de perte du savoir-faire.

Après un mémoire de licence en anthropotechnologie, sur les dynamiques de diffusion et d’appropriation d’un programme de développement régional au sein d’un groupe de maïsiculteurs de Haute-Garonne (France), Hervé Munz a débuté, en 2009, une thèse de doctorat sur les dynamiques de transmission et de patrimonialisation des savoirs dans le monde de l’horlogerie en Suisse. Ce travail s’inscrit dans le cadre d’un projet collectif et interdisciplinaire nommé «Le patrimoine culturel immatériel: le don de Midas?». Coordonné par l’Institut d’ethnologie de l’UniNE et financé par le Fonds national de la recherche scientifique (FNRS), il porte sur la mise en place de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO dans le contexte helvétique.

Le communiqué au format pdf

Contact :

Hervé Munz
herve.munz@unine.ch

En savoir plus :

La soutenance de la thèse «Les chair(e)s de transmission. Apprendre, pratiquer, patrimonialiser l’horlogerie en Suisse» a lieu ce lundi 30 mars 2015 à 15h à l’Institut d’ethnologie de l’Université de Neuchâtel, Saint Nicolas 4.