Communiqué

Circulation migratoire : la valse des danseuses de cabaret en Suisse

11 juin 2015

Dans le but de décrire et d’expliquer les trajectoires de circulation des danseuses de cabaret extra-européenne tant à l’échelle suisse qu’internationale, le géographe Romaric Thiévent a plongé durant plus de cinq ans dans l’univers des cabarets. Quels sont les projets migratoires de ces femmes ? Quelle est l’influence des agences de placement sur leurs trajectoires? Les danseuses ont-elles un quelconque pouvoir sur leur circulation ? Telles sont quelques-unes des questions que soulève sa thèse de doctorat en sciences humaines et sociales qu’il défend ce jeudi 11 juin 2015 à l’Université de Neuchâtel.

Elles arrivent pour la majorité d’Europe de l’Est et de République dominicaine. Des jeunes femmes âgées entre 20 et 25 ans qui ont choisi la Suisse pour des raisons purement économiques. «Il existe deux types de projets migratoires: individuel et collectif. Le premier vise à améliorer leur propre situation économique. Le deuxième a notamment pour objectif de soutenir leur famille restée au pays ou de payer la scolarité d’un enfant», explique Romaric Thiévent.

Avec le soutien du FNS, il a durant plus de cinq ans suivi leur va-et-vient entre la Suisse et leur pays d’origine. Il s’est également intéressé à leur circulation sur sol helvétique. «J’ai eu la chance de pouvoir travailler avec une immense base de données, le Système d’information central sur la migration (Symic), qui m’a permis de suivre les danseuses dans le temps et dans l’espace et de déterminer, par exemple, combien de fois elles avaient travaillé en Suisse, la durée de leur séjour, leurs périodes d’inactivité, etc.» Un travail de fourmi qu’il a complété avec des enquêtes sur le terrain, en rencontrant non seulement des danseuses, mais aussi des recruteurs, des patrons de cabaret et même un client. «C’est un terrain sensible. Il y a de manière notoire beaucoup d’abus, d’exploitation. Les acteurs de ce monde n’ont pas intérêt à dévoiler les rouages du système», précise-t-il.

Sa recherche relativise quelque peu l’image d’hypermobilité caractérisant ce secteur. Elle met en évidence que, si la politique de rotation des danseuses de cabaret est élevée - elles changent généralement tous les mois de lieu de travail afin de satisfaire le désir de nouveauté de la clientèle -, au niveau spatial par contre leur mobilité n’est pas dispersée mais plutôt confinée aux régions linguistiques, si ce n’est à quelques cantons suisses. «Une des particularités de la circulation de ces femmes est qu’elle n’est pas «autoorganisée » par les protagonistes elles-mêmes, mais est en grande partie gérée et contrôlée par des
agences de placement basées dans ces régions linguistiques qui se chargent de leur recrutement et de leur placement.»

Du fait de leur statut précaire déterminé par le permis L et du mode de fonctionnement du réseau de circulation au sein duquel elles sont insérées, les danseuses de cabaret se trouvent ainsi dans une situation de dépendance envers les recruteurs et patrons de cabaret, disposant d’une force de négociation fortement limitée. Malgré tout, certaines femmes réussissent à s’aménager des espaces de contrôle et d’influence leur permettant d’acquérir du pouvoir sur leur circulation. «Etre une bonne danseuse, une «employée» qui ne pose pas de problème, avoir de bonnes relations sont autant de facteurs qui vont leur permettre d’augmenter leur degré de sécurité d’emploi et d’effectuer des choix stratégiques leur permettant de tirer profit de leur circulation.»

Evolution du marché du sexe oblige - essor des clubs de rencontre et internet -, de moins en moins de personnes bénéficient aujourd’hui du statut d’artiste de cabaret, à savoir le permis L qui sera supprimé au 1er janvier 2016. Pour le seul mois de décembre 2005, 1631 femmes en bénéficiaient, alors qu’elles n’étaient plus que 364 en 2014, pour le même mois.

Assistant et collaborateur scientifique à l’Institut de sociologie de l’UniNE, puis doctorant à l’Institut de géographie, Romaric Thiévent s’est notamment passionné durant ses études pour les différentes formes de circulation migratoire, le travail du sexe et ses liens avec les phénomènes de mobilité. Il est actuellement responsable de la statistique suisse des bibliothèques et des musées à l’Office fédéral de la statistique.

La soutenance de la thèse «Circulation migratoire : le cas des danseuses de cabaret extra-européennes en Suisse» a lieu ce jeudi 11 juin 2015, à 14h, à la salle R.E.48 de la Faculté des lettres et sciences humaines, Espace Louis-Agassiz 1.

Le communiqué au format pdf

Contact

Romaric Thiévent
romaric.thievent@unine.ch