Fermer
_flsh_histoire_choix-resize2000x312.jpg

Ressources pour une histoire polycentrée du républicanisme moderne

 

Pour des raisons historiques très particulières, qu’il n’est sans doute pas nécessaire d’évoquer ici en détail (influence des Lumières et constitution précoce d’une opinion publique éclairée, éloignement du pouvoir central prussien au XVIIIe siècle et traditions locales de gouvernementalité, poids du protestantisme libéral, présence de nombreux exilés politiques républicains ou socialistes tout au long du XIXe siècle), le territoire de Neuchâtel s’est imposé au cours du XIXe siècle comme l’un des lieux d’invention, de formulation et de diffusion de courants de pensée dissemblables mais également préoccupés de libertés publiques, de progrès économique et moral, d’égalité sociale, des libéraux marqués par le groupe de Coppet aux anarcho-syndicalistes de la Chaux-de-Fonds en passant par toutes les nuances du républicanisme. S’il y a bien, pour reprendre une expression de Pierre Rosanvallon, un « moment suisse » de la pensée politique du XIXe siècle, Neuchâtel y tient une place centrale, qui ne vaut pas exclusivement pour la France mais aussi, par exemple, pour l’Amérique Latine.

L’ambition de ce projet est de tirer parti de cet environnement historique et intellectuel pour constituer une bibliothèque républicaine virtuelle européenne et latino-américaine. Financée par le Fonds National Suisse, dans le cadre d’un projet sur les Républicanismes méridionaux, cette bibliothèque se situe donc à la croisée de préoccupations venues des humanités numériques, de l’histoire conceptuelle, de la philosophie politique, de l’histoire de la langue, mais aussi d’une réflexion sur la diversification des ressources destinées à l’enseignement et à la recherche.

Nombre de textes essentiels pour comprendre l’histoire de la pensée politique républicaine et les différents héritages intellectuels qui s’y retrouvent sont en effet aujourd’hui disponibles sur Internet. Les titres se comptent par milliers, plus ou moins bien référencés, plus ou moins faciles à identifier et à retrouver. Ils restent néanmoins difficilement exploitables : les problèmes de langue, d’indexation, de référencement constituent des obstacles assez importants. D’autres difficultés viennent à la fois du caractère arbitraire des corpus constitués au gré de campagnes de numérisation sans coordination et donc dépourvues de tout caractère systématique, de l’absence, dans l’immense majorité des cas, d’un appareil critique actualisé qui permettrait au grand public d’aborder ces textes et d’en comprendre les enjeux principaux et, enfin, d’indications précises sur la circulation internationale des textes, des références, des auteurs, pourtant essentielle. La numérisation des ouvrages des XVIIIe et XIXe siècles ne suffit donc pas à les rendre abordables. Cette bibliothèque veut contribuer à y remédier, sur un terrain particulier et avec des objectifs précis.

La bibliothèque républicaine virtuelle a l’ambition d’offrir un accès aisé à deux corpus cohérents de textes : les catéchismes et almanachs républicains ; l’histoire comparée des doctrines républicaines autour de la question de la place du républicanisme classique en Amérique Latine. Elle le fera en proposant non seulement des traductions en français de textes européens et latino-américains, mais aussi des introductions, des présentations, des annotations et des bibliographies. Et, cela, en moissonnant, en repérant et en indexant des ouvrages déjà numérisés par d’autres archives, bibliothèques et projets d’humanités numériques, dans le respect des règles d’usage de chaque plateforme.

Bien entendu, cette bibliothèque virtuelle s’inspire en bonne part d’entreprises équivalentes, comme la Bibliothèque Virtuelle des Humanistes hébergée par l’Université de Tours et lancée en 2002 (première campagne de numérisation à partir de 2005) : http://www.bvh.univ-tours.fr. Celle-ci poursuit depuis une quinzaine d’années l’objectif de fournir 2000 fac-similés d’ouvrages du XVau XVIIe siècles, de faciliter leur étude en proposant une série d’outils de type OCR et de soutenir les projets d’enseignements innovants adossés à cette collection virtuelle. Par certains côtés, le projet de bibliothèque républicaine sera proche de cette expérience reconnue : taille maîtrisable des objets (un ensemble d’environ 200textes), systématicité de la démarche et importance accordée aux collections locales et régionales.

Mais il s’en éloigne sur deux points essentiels : dans la bibliothèque républicaine virtuelle, il ne sera pas question de numériser des ouvrages, ni même d’héberger les PDF de ceux-ci, sauf exception, mais avant tout de constituer un portail proposant des liens vers les sites où les ouvrages sont déjà numérisés et consultables (Google Books, Gallica, E-Rara etc), comme le font des grands projets comme https://www.europeana.eu/portal/fr ou https://francearchives.fr/. Un test de faisabilité a déjà été fait sur un petit corpus d’ouvrages sur le site du CEDRE-PSL par un le groupe de collaborateurs qui est au cœur du nouveau projet de l’Unine (Oliver Lamon, Guillaume Alonge, Alexandre Frondizi) : http://cedre.univ-psl.fr/ressources-numeriques/bibliotheque-republicaine. En outre, des introductions scientifiques solides et à jour sur le plan bibliographique seront proposées pour chaque ouvrage. Ces introductions sont le cœur du projet : elles seront brèves, lisibles par des lecteurs non-spécialistes, accompagnées d’un appareil critique léger. Nous espérons ainsi élargir le nombre des lecteurs potentiels de textes parfois ardus, souvent oubliés, et adopter une approche ouverte et interdisciplinaire, attentive aux échanges, aux remplois, aux circulations internationales. Pour penser, après Pocock et Skinner, la question des républicanismes atlantiques à nouveaux frais, il s’agira d’y faire entrer pleinement les républicanismes hispanophones et italianophones, les textes qui les expriment et leurs auteurs.