Fermer

Les textes historiques

Un chanoine écrit la première chronique de Neuchâtel

Vers 1500, le chanoine Jean Dubois, rédige une petite chronique de Neuchâtel - la première qui nous soit parvenue. Elle constitue un témoin historiographique majeur pour la région.

[f° 5r] In nomine domini, Amen ! Hoc in volumine continentur multa, que tametsi, absque ordine rei geste temporis ve contextu inseruntur : nihilminus omnia ad opus et ritum ecclesie Novicastri et ad perpetuam futurorum memoriam nota sunt digna.
Imprimis ordiamur a fundamentis que in vnoquoque opere sunt precipua queque a precessoribus nostrisaccepimus que pauca sunt referemus. Nam sive Incendio . Ruina longi temporis sive bellorum Incursu : annales nostri proth dolor perierunt. Qua de re ex huius modi nobillisma fundatione ecclesie nostre nihi nisi feces (ut ita dixerim) remanserunt : ex tanta siquidem copia literarum que in thesauro ecclesie reponuntur : nulla tamen reperitur : que de primitiua constructione verbum faciat. Id solum autem habemus memoria dignum : quod ecclesia ipsa Intitulatur ecclesia beatissime et Intemerate virginis marie in monti novicastri inter lacum et Juram sita dyocesis lausannensis Eius sane prima edificatio antiquissima est nullius enim scriptura reperitur quibus temporibus, incepta sit fama tamen communis est quod bertha quedam nobilissima domina hanc a fundamentis erexerit et suis facultatibus dotauerit. Non autem hanc fuisse existimo bertham matrem scilicet Karoli magni, que ut fertur edificauit illud nobile monasterium quod paterniacum dicitur et monasterium  etiam romanum eiusdem diocesis sed hanc bertham credo fuisse matrem comitis vlrici,cuique rei fidem facit antique  vetustissima scripta marmorea ad ipsius ecclesie primum hostium sculpta qua leguntur hi versus
Respice virgo pia me bertham virgo maria et simul \vlricum/ qui sit fugiens Inimicum dat domus hec usum facientibus et paradisum.
\\legitur in antiquo psalterio quod ista domina Aleburgis \fuit/ uxor vlrici, novicastris sed domina prima huius canoni?? fundatrix fuit beata eorum tamen tempora non reperio fertur tamen vulgo quod eratregina burgo n die que adhuc ut fama est, sepelitur in ipso monasterio paterniaci//
Sunt igitur Comites Novicastri Inuictissimi principes nostri fundatores et patroni quibus jureiurando fidem debemus et obedientiam , domini vero de Capitulo s. d. prepositus et Canonici sunt in primo gradu statuum huius patrie Nobiles vero, in secundo gradu, Et burgenses ciues Novicastri faciunt tertium statum, Horum omnium post Illustres dominos Comites domini prepositus et Canonici dicuntur esse aliorum caput Itaque res publica Comitatus Novicastri regitur sub Inuictissimisprincipibus nostris qui neminem recognoscunt superiorem temporaliter nisi summum Imperatorem. Dependendo ad Inferiora dominus prepositus et domini canonici ipsius ecclesie habent suas emunitates que de Jure communi scripte sunt et ex consuetudine huius patrie presunt ceteris tam Nobilibus quam civibus In sede, in molendino in chbano et marello et preferuntur in emptionibus et venditionibus edilinisNobiles vero post eos preferuntur civibus. Et ita respubli ca Novicastri Olim et usque ad tempora nostra fuit gubernata Sed supremam Juridictationem omnium habent Illustrissimi Comites, domini autem de Capitu lo s. d. prepositus et canonici habent jurisdictionem interse duirem et in Capellanos ecclesie de causis tamen minoribus Nam \ad/ reuerendissimum d[ominus] Epi scopi lausanensis spectat omnimoda jur\is/ dictio spiritualis omnium rerum que de jure communi pertinet episcopo preterquam tamen in visitatione sua a qua eximitur magnum altare ecclesiem beate m[aria]e virginis Novicastri quod propter reuerentiam principum nostrorum [f° 5v] exemptum est a visitatione episcopi id quod obseruatum fuit vsque ad tempora nostra quam rem licet Indigne tulerit Reuerendissimus dominus dopuus benedictusde monteferrando episcopus et Comes lausannensis qui cum visitaret suam diocesim anno domini millesim o quadringentesimo octogesimo iijo. Nihilominus veniens ad Novumcastrum non visitauis nostrum alatre quia invenit omnia altaria midata et nemo ex ciuibus comparuit et ita ad alia negocia \divertit/, exceptus tamen fiot opipare ab omnibus dominus de Capitulo in domo Nobili[is] viri domini Ludouici de petra prope cimiteriumIn qua fuit hospitatus Ad propositum vnde digressi sumus revertamur, d.[ominus] prepositus et capitulum habet jurisdictionem in se et in capellanos de causis leuibus Burgenses cum suis juratis habent suas consuetudinibus patrie verumtamen ab eorum passamentis et sententijs appellatur ad Audiencias generales Illustrium d. Comitum novicastri A quibus omnio appellare non licet Apparet ergo quo pacto domini Comites sunt supremi domini Novicastri Fundatores et patroni huius Insignis ecclesie beate marie virginis In cuius choro hac de causa elegerunt sepulturas suas Ante magnum altare vbi est illa magnifica structura marmorea et principum statue quas opere pretium est aspicerer, Deinceps dotauerunt ecclesiam ipsam paulatim ampliantes auxerunt redditus vnusquisque pro sua deuotione. Itidem et Cives ad pias causas fecerunt. Qua de re ecclesia redintegrata est ad eum decorem et statum bonum in quo est [Nam…] […]

Au nom du Seigneur, amen !
Ce volume contient beaucoup de choses qui, bien qu’elles soient disposées sans ordre de faits ou sans enchaînement chronologique, sont néanmoins toutes dignes d’être notées, concernant l’œuvre et le rite de l’église de Neuchâtel et pour la mémoire perpétuelle de ceux qui vivront dans le futur.
Commençons avant tout par les fondements, qui sont les choses principales dans chaque acte en particulier, et que nous recevons par nos prédécesseurs, qui sont peu nombreuses et  les choses principales, nous les recevons chacune par nos prédécesseurs, qui sont peu nombreuses et que je rapporte. En effet, soit par l’incendie, par la ruine de la longueur du temps, soit par les chocs des guerres, nos annales, par affliction, ont péri. C’est pourquoi, de cette façon, de la très noble fondation de notre église, il ne reste rien, sinon la lie (comme je le dirais) ; parmi la si grande quantité de documents qui sont conservés dans le trésor de l’église, on n’en trouve pourtant aucun qui parle de sa constitution primitive. Or, nous avons seulement ceci de digne pour la mémoire, que l’église elle-même s’intitule l’église de la bienheureuse et immaculée Vierge Marie, située sur la montagne de Neuchâtel entre le lac et le Jura, dans le diocèse de Lausanne. Sa première construction est vraiment très ancienne. En fait, on ne trouve aucun écrit qui dise quand elle a été entreprise. Cependant, l’opinion commune est que Berthe, une très noble dame, l’a élevée depuis les fondations et l’a dotée sur ses propres moyens. Or, je ne crois pas que celle-ci ait été Berthe, bien sûr la mère de Charlemagne, qui, comme on le rapporte, a construit le noble monastère qu’on appelle de Payerne, pas plus que le monastère romain, dans le même diocèse, mais je crois que cette Berthe était la mère du comte Ulrich, et à quoi fait foi la très ancienne écriture de pierre sculptée sur la principale porte de cette église, où l’on lit ces vers :
« Veille, pieuse vierge, vierge Marie, sur moi Berthe, et en même temps sur Ulrich pour qu’il soit en train d’échapper à l’ennemi. Donne à ceux qui font cette maison la joie et le paradis. »
Ce sont donc les comtes de Neuchâtel, ces princes très invaincus, qui sont nos fondateurs et patrons, auxquels nous devons fidélité au serment et obédience.
Les seigneurs du chapitre [à savoir ?] le seigneur prévôt et les chanoines sont au premier degré des états de cette patrie ; les nobles forment le deuxième degré et les bourgeois citoyens de Neuchâtel le tiers état. Après les illustres seigneurs comtes, on dit que le seigneur prévôt et les chanoines de tous ces autres. Et ainsi, la république du comté de Neuchâtel est gouvernée par nos très invincibles princes qui ne reconnaissent personne au-dessus d’eux au temporel, sauf le très haut empereur. En descendant dans la hiérarchie, le seigneur prévôt et les seigneurs chanoines de cette église ont leurs immunités qui sont écrites d’après le droit commun et, par la coutume de cette patrie, ils sont à la tête tant des nobles que des citoyens, à leur siège (collégiale ou tribunal ?), au moulin, à la taverne et à la boucherie et sont préférés dans les achats et ventes urbaines. Après eux, on préfère les nobles aux citoyens, et c’est ainsi que la république de Neuchâtel a été gouvernée autrefois et jusqu’à maintenant, mais les très illustres comtes disposent de la juridiction suprême de tous.



 

Introduction

Ce texte est la première chronique de Neuchâtel qui nous soit parvenue. Si l'on en croit l'auteur, le chanoine Jean Dubois, d'autres chroniques auraient existé auparavant, mais elles ont été détruites dans les divers incendies que la ville a connu.

 

Structure de la chronique

On peut diviser cette chronique en cinq sections :

  1. Introduction. Dubois parle de sa démarche et de ses intentions.
  2. Les origines de la collégiale.
  3. Les institutions spirituelles et temporelles.
  4. Les incendies de 1249, 1269, 1434, 1450 et 1478.
  5. Notices sur la famille comtale.

Les sources du chanoine Dubois

Le chanoine indique lui-même la plupart des sources qu'il utilise ; il parle notamment de veteribus codicibus ecclesiae, dont l'un a été identifié comme étant le Ms A 27 de la BPUN. Ce dernier contient toute une série de notices événementielles et familiales concernant Neuchâtel et ses comtes ; Dubois la copie souvent mot à mot.

La méthode du chanoine

On sent chez Dubois une certaine tension entre la tradition médiévale à laquelle il est encore pleinement redevable et les idées nouvelles de la Renaissance, rejetant cette tradition, désirant analyser les choses par lui-même, sur des sources vues et lues par lui. Ainsi, autant les notices sur la famille comtales sont-elles des copies serviles d'un autre codex, autant la réflexion de Dubois quant aux origines de la collégiale et à l'analyse 

f° 5r

f° 5v

f° 6r

f° 6v

f° 7r

f° 7v


 


 


 

 

Recueil du chapitre collégial de Neuchâtel, "Chronique de Neuchâtel I, par le chanoine Jean Dubois"

 

Manuscrit :

  • Archives de l'État de Neuchâtel, Recettes diverses 237, "Recueil du chapitre", folios 5r-7v.

Auteurs :

  • Transcription : Arnaud Besson
  • Traduction : Grégoire Oguey et Arnaud Besson
  • Commentaire : Grégoire Oguey et Arnaud Besson

Date :

  • Mars 2012.


Jean Dubois complète sa chronique

Le rédacteur est ici de nouveau le chanoine Jean Dubois. Ce texte contient une nouvelle introduction, et brosse à grands traits la généalogie des comtes de Neuchâtel. Il est difficile de savoir pouquoi Dubois a rédigé deux chroniques aux fortes similitudes, alors qu'il aurait pu fondre toutes ces informations en un seul texte.

Hystoria est testis temporum : lux veritatis : via memorie : magistra vite : nuncia vetustatis hanc enim vim habet hystoria quod simul et mortuos reddat vivos, et qui vivant et sint harum rerum studiosi faciat doctiores. Omnium quidem etatum, omnium principum, omnium populorumomnium hominum dicta, facta, novam deperissent oblivione prorsus nec vetustatis esset ulla noticia ni eam presidio suo, que scripta est hystoria conservasset. Quapropter quoadpotui recollegi hinc inde quidquid Inveni ex antiquorum libris et cronicis saltem quod ad ecclesiam nostram attenet Sed de tempore fondationis eiusdem nichil proth dolor attingere valui nam cepeuuom oppidum Novicastri fuit incendijs diumsis adustum et pene in cineres redactum. Quod tamen Excerpere potui utcumque referam tum maxime de Illustribus principibus Novicastri
Dominus Ulricus et dominus Bartodus de novocastro nepos suus ambo comites fuerunt ac domini novi[cas]\tri/ anno domini millesimo ducentisimo ac decimo quarto
Amedeus postea fuit filus dicti dominibarthodi qui sibi successit in comitatu,predictus Amede Genuit dominem Rodulphum comitem qui Rodulphus recognovit ac recepit dictum comitatum novicastri in feudum ab Imperatore [Rodolpho] in obsidione quam tenebat ante bernum anno mille[si] mo ducentesimo octogesimuu [octo]
Ludovicus Comes quartus de generatione supradicta fuit prefati Rodolphi comitis filius Qui ludovicus procreavit Johannem dictum le bel, et duas filias vul lus Ysabellam et Verenam Hic Johannes non duxit uxorem sed ex concubina genuit Walterum bastardumQui fuit dominus de Roichefort supra areusam, et propter quoddam crimen lesemaiestatis quod commiserat in dominem Comitem […] fuit plexus caputnichilominus hic reliquit duos filios post executionem capitis \qui/ Recesserunt se p ultra partes marinas in alexandriam petinerunt tamquam fugitivi. Prefatus Johannes bel, bello captus mortem obijt in carcerem in quadam turvi queVocaturlourdeam in Semur in alsassia Ducatus burgondie.
Isabelle predicta comitissa \ta/ novicastri nupsit ulrico comiti de nydoie quibus Nulla successit proles
Verena antem .i.s soror Ysabelle desponavit hugonem Comitem friburgi in briscof a quibus descendit Comes Conradus qui fuit etiam comes Novicas[t]ri extra lineam masculinam.
Hugo vero comes friburgi habuit etiam filiam […] quam duxit in uxorem Quidam Guill elmu s marchio de horberg dominusde Ruthelin.
Conardus igitur Sextus comes noviastri genuit Johannem vij comitem Novi[cas]tri qui fuit etiam Comes friburgi, nec habuit prolem ex domina mar[gareta] de Cabilone
Rodulphus filius prefati Guillermi marchionis duxit in uxorem d.[ominam] margaretam de Vienna ex qua genuit philippum de Hochberg qui post prefatum Rodulphum comitem novi[cas]tri et Marchionem de Hochberg, successit in dicto comitatu novi[cas]tri marchionatu et multis aliis dominiis

f° 8r

f° 8v


 


 


 


 


 


 


 

 

Recueil du chapitre collégial de Neuchâtel, "Chronique de Neuchâtel II, par le chanoine Jean Dubois"

 

Manuscrit :

  • Archives de l'État de Neuchâtel, Recettes diverses 237, "Recueil du chapitre", folios 8rv.

 

Auteurs :

  • Transcription : Arnaud Besson
  • Traduction : -
  • Commentaire : -

Date :

  • Mars 2012.


Une découverte au monastère de l'Île-Saint-Jean de Cerlier

Cette troisième partie de la chronique répond à la première, qui s'interrogeait sur l'identité de Berthe, la fondatrice de la collégiale. Cette réponse est le fait du successeur en charge de Jean Dubois, le chanoine Jean de Coeuve. Avec lui, la Renaissance arrive au chapitre collégial : il rejette la tradition, écrit dans un latin élégant et écrit en humanistique.

Da pacem, domine lector, nec indigne feras si novi seu recensiores et \qui/ post hec superuenerunt [‘aliqua’ biffé puis effacé] quorum ego alter (licet enim minimus) sum) [la seconde parenthèse fermée est en trop], aliqua de hiis que \narras/ disquisierunt et scrutati sunt accuratius. Referam que ego vidi queque ipse legi ac memorie commendaui. Est apud Monasterium insule Sancti Johannis erlacensis, in ambitu claustri et loco capitulari egregium marmor [un mot effacé puis biffé (‘excis...’)] et in medio lapidis effigies mulieris vetustissimo ritu et habitu excisa, quam cum aliquando illuc deambulans conspexissem, vetustissime rei \illectus/ quasi quadam in audita nouitate, mirari cepi et inde unguibus et cultro terram scopas et puluerem eiicere et euellere usque adeo quod et ymagines et scripturam lucide discernere potui. Est ea mulieris effigies ab vmbilico sursum in silice non eleuata seu excisa sed incisa profundius et circum eam in quotuor [sic !] angulis quatuor vultus juvenularum facies referentes. In calce vero lapidis caput seu facies hominis barbam longiusculam [une lettre effacée] gerentis insciditur [pour ‘inciditur’]. In capite aut seu summitate saxi seu lapidis crux de silice eleuatus [sic !] apparet. Hec cum terra [mot effacé puis biffé (‘inn’)] corpore innixus fixis oculis intuerer, nec tamen quid scriptura illa que in circuitu ipsius mulieris effigie est significaret explicare ymo neque legere scirem – est enim scriptura illa vetustissima poetica uel ytalica miro artificio in silice uel sculpta uel incisa studiosius –, superuenit eo Reverendus in Christo pater ac dominus Rudolphus benedicti eius monasterii abbas dignissimus et meritissimus quidnam hic agerem [deux lettres effacées puis biffées] ciscitans [pour ‘sciscitans’] inquiensque quod antea idipsum quod agerem licet frustra intentasset. Verum cum frequenscius insisterem, cepi paulatim ad eius scripture notionem deuenire. Suntque hii versus duo ibi Hac pausant fossa berthe feliciter ossa, Spiritus ad sedes transeat helisias. Hinc est quod non illam [une ou deux lettres effacées] Burgundionum reginam bertham quam credis nostre ecclesie fundatricem crediderim sed alteram bertham de illustri ac prepotenti comitum genere ortam esse fateor. Certum est enim deuotum illud erlacense monasterium ab eximiis Nouicastri comitibus altero Lausanensi episcopo, altero vero Novicastri principe extructum dotatum et initiatum esse. Neque hoc tantum sed etiam claustrum Fontis Andree et alia pulchra et opulenta cenobia. Quare fit vt eo audentius hanc nostram Novicastri ecclesiam seu collegium ab eisdem esse initiatum ac primitus dotatum opinemur. Obstat enim ordinate charitati vt quis aliena priusquam sua uel foueat uel incrementis afficiat. Nam si negligentia in facto alieno vituperanda est vt lege si constante ·§·[si] maritus ff [= in Digesto] soluto matrimonio [dos quemadmodum petatur], quid in facto proprio et certe non culpanda solum sed detestanda atque abhorren[da].

            Jo. de Cueue hec.

Donne la paix, seigneur lecteur, et ne t’indigne pas, si des gens nouveaux ou plus contemporains, dont je fais partie (quoique le dernier) et qui sont arrivés après ces événements, se sont enquis de choses que tu racontes, et les ont approfondies avec le plus grand soin. Je rapporterai ce que j’ai vu et lu moi-même et que j’ai confié à ma mémoire. Il y a, au monastère de l’Île-Saint-Jean de Cerlier, dans le déambulatoire et dans la salle capitulaire, une pierre remarquable ; et en son milieu est taillée la représentation d’une femme, dans un style et un habillement anciens. Je la contemplais, quand, parfois, je déambulais par là ; séduit par son grand âge, comme si c’était une nouveauté, je me pris à de curiosité et de là à chasser et à dégager, avec mes ongles et un couteau, la terre, les brindilles et la poussière jusqu’à ce que je puisse distinguer clairement des images et une inscription. Cette figure de femme, du nombril jusqu’en haut, n’est pas en relief ou taillée sur la pierre, mais incisée assez profondément, et autour d’elle, dans les quatre angles, il y avait quatre visages représentant des faces de jeunes filles. Au pied de la pierre se trouve la tête ou le visage d’un homme portant une barbe mi-longue. À la tête ou au sommet de la pierre ou rocher apparaît une croix en pierre en relief. Alors que, à plat ventre, je regardais attentivement de mes yeux fixés, et que je ne savais pourtant pas expliquer profondément ni lire ce que signifiait cette inscription qui est autour de la figure de la femme – il s’agit en effet cette très ancienne inscription poétique ou italique, sculptée ou incisée très consciencieusement dans la pierre d’un art admirable – survint là le Révérend Père en Christ et Seigneur Rodolphe, très digne et méritant abbé de ce monastère béni, demandant ce que je faisais donc là et disant qu’avant il avait tenté la même chose que moi, mais en vain. Mais comme j’insistais particulièrement assidûment, j’en vins peu à peu à la compréhension de son inscription. Il y a là deux vers : Dans cette fosse reposent, sous d’heureux auspices, les ossements de Berthe. Que son esprit monte au siège élyséen ! De là, j’aurais cru qu’elle n’était pas Berthe, cette reine de Bourgogne, que tu crois être la fondatrice de notre église, mais je dis qu’elle est une autre Berthe, issu de la race des comtes illustres et très puissants. Mais il est certain que ce pieux monastère de Cerlier a été construit, doté et commencé par les éminents comtes de Neuchâtel, l’un évêque de Lausanne et l’autre prince de Neuchâtel ; et ils n’ont pas seulement fait celui-ci mais également le monastère de Fontaine-André et d’autres belles et riches abbayes. Cela nous encourage à penser avec d’autant plus d’audace que notre église de Neuchâtel, ou son collège, a été fondée et dotée à l’origine par les mêmes [comtes]. En effet, le fait que quelqu’un favorise ou accroisse les biens d’un tiers avant les siens s’oppose à la charité bien ordonnée. De fait, s’il faut blâmer une négligence dans les affaires d’autrui, comme la loi d’Ulpien, Libro 33° ad edictum, D., 24, 3, 24, 5, combien, dans ses propres affaires, n’est-ce pas seulement à blâmer, mais à maudire et à abhorrer !

Jean de Cœuve [a écrit] cela.

Analyse

L'inscription est répertoriée, d’après Coeuve, dans Wilfried Kettler, Die Inschriften der Kantone Aargau, Basel-Stadt, Basel-Land, Bern und Solothurn bis 1300, Fribourg, 1992 (= CIMAH II), n° 41. Il en existe des fragments au musée lapidaire de l’Île-Saint-Jean, qu’on trouve dans Moser, pp. 156-157 et dans CIMAH III, n° 21, mais sans que le rapprochement ne soit fait avec notre inscription.

Les notices CIMAH II 41 et CIMAH III 21 ne forment en réalité qu'une seule.

Suivi par Moser, Kettler (Op. cit., pp. 133-134) plaide pour Berthe II de Granges, épouse de Rodolphe Ier de Neuchâtel-Nidau, morte en 1226. Mais cette identification est problématique, puisque dans CIMAH III, n° 21, Kettler date les fragments (non identifiés comme tels) du XIIe siècle. Si cette datation est confirmée, il s’agirait alors plutôt de Berthe, comtesse de Neuchâtel et épouse d’Ulrich II, avec qui elle a fondé la collégiale de Neuchâtel, qui est décédée entre 1192 et 1196.

Corpus iuris civilis, t. I, éd. Th. Mommsen, 6e éd., Berlin, 1964 [1ère éd. 1872], p. 322a). Nous remercions Emmanuel Falzone (Bruxelles) pour son aide. Voir Michel Reulos, Comment transcrire et interpréter les références juridiques (droit romain, droit canonique et droit coutumier) contenues dans les ouvrages du XVIe siècle, Genève, 1985.

L'humanisme arrive à Neuchâtel avec ce texte, non seulement dans le contenu, très axé sur une expérience personnelle (utilisation importante de la première personne du singulier), avec un goût prononcé du passé, un rejet de la tradition établie, mais aussi dans la forme, avec l'utilisation de l'écriture humanistique, chassant la gothique encore utilisée par le chanoine Dubois, prédécesseur direct de Jean de Coeuve.

 

L'auteur

Jean de Cuève ou Jean de Coeuve (ou Cova, ou Cothena), chanoine de Neuchâtel, Porrentruy et Saint-Imier, curé de Saint-Blaise. Déjà actif en 1500, il meurt vers 1536 (voir René Humair, Le chapitre de la collégiale de Neuchâtel de 1453 à 1530, mémoire de licence de la faculté des lettres de l’Université de Neuchâtel, 1972. Une étude plus approfondie permettrait de mieux cerner le personnage et, peut-être, de l’identifier avec Jean de Cuene du Landeron, abbé contesté de Cerlier au début du XVIe siècle. Coeuve (JU) est un petit village non loin de Porrentruy.

 

Bibliographie

  • Helvetia Sacra III/1/1, pp. 658-671 (Cerlier) ; III/1/2, pp. 963-964 (Perroy) ; III/2, pp. 594-595 (Corcelles) ; HS IV/3, pp. 345-381 (Fontaine-André).
  • Mojon Luc, « Die ehemalige Benediktinerabtei St. Johannsen bei Erlach », in : Archéologie suisse, 3, 1980, pp. 126-131.
  • Moser Andres, Die Kunstdenkmäler des Kantons Bern Landband II : Der Amtsbezirk Erlach. Der Amtsbezirk Nidau 1. Teil, 1998, pp. 121-168.
  • CIMAH II ; III.
  •  

folio 4v

f° 4v

Recueil du chapitre collégial de Neuchâtel, "Chronique de Neuchâtel III, par le chanoine Jean de Coeuve"

 

Manuscrit :

  • Archives de l'État de Neuchâtel, Recettes diverses 237, "Recueil du chapitre", folio 4v.

 

Auteurs :

  • Transcription : Grégoire Oguey
  • Traduction : Grégoire Oguey
  • Commentaire : Grégoire Oguey

Date :

  • Février 2012.