Récemment, un important groupe suisse de défense des consommateurs (la Fédération romande des consommateurs – FRC) ainsi qu’une ONG (Public Eye) ont publié un rapport révélant des pratiques en ligne préoccupantes dans l’industrie de la mode. Les défenseurs des consommateurs cherchaient à évaluer comment le secteur utilisait des incitations numériques comme dark patterns dans leurs environnements d’achat en ligne (OSE).
Les incitations numériques sont des interventions où des modifications de l’architecture de choix influencent le comportement des utilisateurs sans changer de manière significative les incitations. Toutefois, alors que ces incitations ont été initialement conçues dans l’intérêt des utilisateurs, le rapport montre que l’industrie détourne ces mécanismes en dark patterns pour accroître ses profits au détriment du bien-être des consommateurs.
Un exemple de dark pattern est l’utilisation d’un nudge par défaut, où un article est automatiquement ajouté au panier (par exemple une assurance inutile). Un autre exemple est l’exploitation artificielle de la rareté pour créer un sentiment d’urgence (par exemple : « plus que deux minutes pour profiter de cette offre »).
À la suite de ce rapport, le Parlement suisse a commencé à pousser pour une meilleure régulation de ces pratiques. La Suisse n’est pas un cas isolé : des initiatives similaires sont en cours au sein de l’Union européenne ou de l’OCDE. Ces démarches, ainsi que la littérature sur les incitations numériques et les dark patterns, soulignent le besoin de recherches supplémentaires afin de comprendre leur impact sur les consommateurs, et ainsi permettre aux législateurs de concevoir des politiques fondées sur des données empiriques — encore limitées à ce jour.
Pour combler ce manque, le premier objectif de ce projet de recherche est de comprendre l’effet de différents types de dark patterns dans les environnements d’achat en ligne en fonction de facteurs personnels et situationnels. Cela doit permettre d’identifier les variables qui conditionnent l’efficacité de ces pratiques. Le projet vise ensuite à comprendre comment les consommateurs repèrent et interprètent les dark patterns. Enfin, l’objectif est de mettre en place des interventions (stratégies pour les consommateurs et mesures politiques) afin de les aider à prendre des décisions d’achat cohérentes avec leurs objectifs et moins influencées par ceux des dark patterns.
Pour mener cette recherche, nous concevrons et mettrons en place un environnement contrôlé d’achat en ligne dans lequel différents dark patterns pourront être intégrés pour tester leurs effets. Nous utiliserons une approche expérimentale afin d’examiner leur impact à la fois sur les comportements observés dans cet environnement et sur les perceptions mesurées dans des questionnaires de suivi. Lorsque cela sera pertinent, des entretiens qualitatifs viendront compléter ces données.
Dans son ensemble, ce projet s’appuiera sur les travaux en systèmes d’information, science des données, économie comportementale et marketing afin d’apporter des contributions théoriques inédites ainsi que des solutions pratiques pour guider les politiques publiques face à un problème sociétal de plus en plus répandu.