C’est un fait, la langue française est sexiste et invisibilise les femmes. Mais elle n’est pas figée, au contraire, elle évolue !
L’écriture non discriminatoire n’est pas une tentative de féminiser la langue, mais plutôt de stopper sa masculinisation qui a débuté au 17ème siècle. Son ambition est de faire du français un outil de communication neutre, où chacune et chacun peut se reconnaître.
Adopter les principes rédactionnels de l’écriture non discriminatoire est important, car la langue est « un miroir culturel, qui fixe les représentations symboliques, et se fait l’écho des préjugés et des stéréotypes, en même temps qu’il alimente et entretient ceux-ci » (in Marina Yaguello, Les mots et les femmes, Payot, 1987).
Afin de comprendre pourquoi la langue française est sexiste et de quelle manière elle invisibilise les femmes, il suffit de se pencher sur deux arguments, l’un issu de l’histoire et l’autre de la recherche.
La langue française n’a pas toujours été sexiste, ni dominée par le genre grammatical masculin.
Jusqu’au 17ème siècle, la féminisation des professions était logique. Les poétesses, médecines, professeuses, philosophesses, peintresses ou encore autrices avaient toute leur place dans la langue, même si cela restait plus difficile dans la société.
Dans une volonté de limiter l’accès des femmes à ces métiers, les grammairiens de l’époque décrétèrent que le genre masculin était plus noble que le féminin. Dès lors apparurent des modifications de règles grammaticales.
Ces modifications étaient sexistes et visaient à marquer les rapports de force entre les sexes. La règle « le genre le plus noble l’emporte », s’imposa et fut justifiée ainsi: « Le genre masculin, étant le plus noble, doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble. » (Claude Favre de Vaugelas, Remarques sur la langue française, 1647).
Quant à l’Académie française, elle supprima certains noms féminins de métiers de son dictionnaire, comme mairesse, poétesse ou officière, signalant ainsi aux femmes que ces activités restaient l’apanage des hommes. Le masculin devint alors la valeur par défaut.
Aujourd’hui, adopter un langage non discriminatoire n’est donc pas une tentative de féminiser la langue française, mais bien de « mettre un terme à sa masculinisation » comme le note Eliane Viennot.
Jusqu’au 19ème siècle, l’accord des adjectifs et des participes passés n’étaient quant à eux point régi par une règle grammaticale officielle. L’accord de proximité hérité du latin et du grec ancien était courant, ainsi Racine écrivait « ces trois jours et ces trois nuits entières ». (Racine, Athalie, 1691)
C’est dès la généralisation de l’école primaire, vers le milieu du même siècle, que « le masculin l’emporte sur le féminin » devint la règle par défaut.
Un étudiant se réfère à un homme qui étudie, de même qu’une étudiante à une femme qui étudie.
Ce n’est que dans un second temps qu’on leur apprend la règle grammaticale « le masculin l’emporte sur le féminin ». Le masculin est alors gratifié d’un second sens, à savoir qu’il peut désigner soit un groupe mixte de personnes, soit des personnes dont le sexe n’est pas connu ou non pertinent.
Les étudiants de l’Université de Neuchâtel désigne un ensemble mixte, en l’occurrence constitué d’une majorité de femmes.
Bien que cette règle grammaticale soit facile à apprendre et comprendre, elle reste difficile à appliquer, car elle engendre une certaine ambiguïté que notre système cognitif a du mal à gérer.
Dès l’enfance, le cerveau gère mal l’aléatoire ou l’ambiguïté. Il a sans cesse besoin d’activer les distinctions femmes/hommes dans les contextes genrés. D’autant plus lorsqu’il est en présence de stéréotypes de genre. Pratiquement toutes les études montrent que le cerveau peine énormément à considérer le sens générique comme neutre ou universel.
L’usage du masculin comme générique entraîne la formation inconsciente, automatique et spontanée d’une image mentale constituée d’une majorité d’hommes.
A l’heure actuelle, on peut affirmer qu’il nous est même impossible de contrôler l’activation masculin = homme dans notre cerveau, même si l’on nous rappelle que la forme grammaticale masculine est gratifiée de deux sens.
En d’autres termes, la forme masculine générique échoue en sa tentative d’inclure les femmes, car notre système cognitif peine énormément à considérer ce générique comme neutre ou universel.
La forme masculine est alors dominante dans la perception que nous nous faisons de la réalité.
Etudier comment notre système cognitif gère cette ambiguïté est essentiel, car la valeur attribuée à la forme masculine guide notre compréhension du texte, du discours ou des comportements qui y sont liés.
Des recherches récentes menées avec des enfants, des adolescentes et des adolescents francophones ont conclu que la manière, neutre ou genrée, de leur présenter un métier influençait directement leur intérêt pour celui-ci.
Les filles, notamment, étaient ainsi plus enclines à opter pour des métiers énoncés avec un doublon le métier de chirurgienne ou de chirurgien qu’avec un masculin générique le métier de chirurgien.
Censé inclure femmes et hommes dans une formulation neutre, le masculin générique s’avère réducteur et contribue à rendre les femmes moins visibles dans la langue.
Si les effets induits sur la société sont complexes, des études ont néanmoins cherché à les mesurer en comparant un grand nombre de pays dont les langues sont plus ou moins genrées.
Elles concluent que les pays dont la langue est genrée, comme la France ou l’Allemagne sont moins égalitaires que ceux dont la langue est neutre, comme le Danemark ou la Finlande.
30.11.2017 – Conférence
Pascal Gygax, Du sexisme de la langue française et de l’importance du langage épicène
Assises romandes de l’égalité, Martigny
Illustrations:
© Hélène Becquelin