Genre grammatical

Comprendre le double-sens masculin

Au cours de l’apprentissage de la langue française, les élèves apprennent dans un premier temps que le masculin est la forme grammaticale qui désigne un ou plusieurs hommes et que le féminin, la forme qui désigne une ou plusieurs femmes.

Ce n’est que dans un second temps qu’on leur apprend la règle grammaticale « le masculin l’emporte sur le féminin ». Le masculin est alors gratifié d’un second sens, à savoir qu’il peut désigner soit un groupe mixte de personnes, soit des personnes dont le sexe n’est pas connu ou non pertinent.

Bien que cette règle grammaticale soit facile à apprendre et comprendre, elle reste difficile à appliquer, car elle engendre une certaine ambiguïté que notre système cognitif a du mal à gérer.

Référence

Gygax, P., Gabriel, U., Sarrasin, O., Garnham, A. & Oakhill, J. (2009). Some grammatical rules are more difficult than others: The case of the generic interpretation of the masculine. European Journal of Psychology of Education, 24, 235-246.

Ambiguïté
Représentations
Candidatures
Chez les enfants

Une ambiguité difficile à gérer

Dès l’enfance, notre système cognitif gère mal l’aléatoire ou l’ambiguïté. Il a sans cesse besoin d’activer les distinctions femmes/hommes, même lorsque ce n’est pas pertinent pour la compréhension du contexte, car il a besoin de se représenter la réalité.

En présence de stéréotypes, le cerveau renforce encore davantage cette distinction, car les représentations stéréotypiques sont très fortes et difficiles à modifier. En anglais par exemple, les mots nurse et soldier, bien que neutres, sont stéréotypés. A la lecture de ces deux mots, le cerveau aura tendance à imaginer nurse = femme et soldier = homme.

The Surgeon Riddle

Depuis de nombreuses années, la célèbre devinette The Surgeon Riddle est racontée à travers le monde : « A father and son are in a horrible car crash that kills the dad. The son is rushed to the hospital; just as he’s about to go under the knife, the surgeon says, “I can’t operate—that boy is my son! Who’s the surgeon? »

En 2014, Mikaela Wapman et Deborah Belle de l’Université de Boston aux Etats-Unis ont soumis cette devinette à 197 étudiantes et étudiants de la même université et 103 enfants de 7 à 17 ans (Mikaela Wapman and Deborah Belle. 2014. Undergraduate thesis).

Bien que surgeon soit neutre en anglais et désigne autant les femmes que les hommes, l’expérience a révélé que les stéréotypes basés sur des préjugés sexistes étaient encore bien ancrés chez les enfants comme chez les adultes.

En effet, sur le total des réponses, 67% des personnes interrogées ont répondu que the surgeon était le père adoptif, 51% le deuxième papa (couple de deux hommes homosexuels), 26% le beau-père, 44% parlaient d’une erreur d’identité et seulement 18% ont répondu la mère. Les 37% restant étaient les réponses autres.

Cette devinette simple permet d’illustrer combien les schémas de genre influencent notre habilité à évaluer les femmes et les hommes dans leurs aptitudes et compétences professionnelles. Dans cet exemple, 78% des répondantes et répondants n’ont pas pensé que the surgeon pouvait être la mère, quel que soit leur âge ou leur niveau d’étude.

Références 

Brauer, M. (2008). Un ministre peut-il tomber enceinte ? L’impact du générique masculin sur les représentations mentales. L’année psychologique. vol. 108, n°2. pp. 243-272.

Garnham, A., Oakhill, J., Reynolds, D. (2002). Are inferences from stereotyped role names to characters’ gender made elaboratively? Memory & Cognition, 30(3):439-46.

Gygax, P., Gabriel, U., Lévy, A., Pool, E., Grivel, M., & Pedrazzini, E. (2012). The masculine form and its competing interpretations in French: When linking grammatically masculine role names to female referents is difficult. Journal of Cognitive Psychology, 24, 395-408.

Gygax, P. M., Gabriel, U., Sarrasin, O., Garnham, A. & Oakhill, J. (2009). Some grammatical rules are more difficult than others: The case of the generic interpretation of the masculine. European Journal of Psychology of Education, 24, 235-246.

Gygax, P.M., Sarrasin, O., Lévy, A., Sato., S., & Gabriel, U. (2013). La représentation mentale du genre pendant la lecture : état actuel de la recherche et directions futures. Journal of French Language Studies, 23, 243-257.

Irmen, L., & Kurovskaja, J. (2010). On the semantic content of grammatical gender and its impact on the representation of human referents. Experimental Psychology, 57, 367–375.

Moulton, J., Robinson, G. M., & Elias, C. (1978). Sex bias in language use: « Neutral » pronouns that aren’t. American Psychologist, 33 (11), 1032-1036.

Mikaela Wapman and Deborah Belle. 2014. Undergraduate thesis.

Le masculin générique peut-il évoquer les femmes ?

Les nombreuses équipes de recherche en psycholinguistique ont démontré que le cerveau peine énormément à considérer le masculin générique comme neutre ou universel.

Désigner un groupe mixte de personnes par le masculin générique entraîne la formation inconsciente, automatique et spontanée d’une image mentale constituée d’une majorité d’hommes.

A l’heure actuelle, on peut affirmer qu’il nous est même impossible de contrôler l’activation masculin = homme dans notre cerveau, même si l’on nous rappelle antérieurement que la forme grammaticale masculine est gratifiée de deux sens.

En d’autres termes, la forme masculine générique échoue en sa tentative d’inclure les femmes, car notre système cognitif peine énormément à considérer ce générique comme neutre ou universel. La forme masculine est alors dominante dans la perception que nous nous faisons de la réalité.

Références

Brauer, M. (2008). Un ministre peut-il tomber enceinte ? L’impact du générique masculin sur les représentations mentales. L’année psychologique. vol. 108, n°2. pp. 243-272.

Garnham, A., Oakhill, J., Reynolds, D. (2002). Are inferences from stereotyped role names to characters’ gender made elaboratively? Memory & Cognition, 30(3):439-46.

Gygax, P., Gabriel, U., Lévy, A., Pool, E., Grivel, M., & Pedrazzini, E. (2012). The masculine form and its competing interpretations in French: When linking grammatically masculine role names to female referents is difficult. Journal of Cognitive Psychology, 24, 395-408.

Gygax, P. M., Gabriel, U., Sarrasin, O., Garnham, A. & Oakhill, J. (2009). Some grammatical rules are more difficult than others: The case of the generic interpretation of the masculine. European Journal of Psychology of Education, 24, 235-246.

Gygax, P.M., Sarrasin, O., Lévy, A., Sato., S., & Gabriel, U. (2013). La représentation mentale du genre pendant la lecture : état actuel de la recherche et directions futures. Journal of French Language Studies, 23, 243-257.

Irmen, L., & Kurovskaja, J. (2010). On the semantic content of grammatical gender and its impact on the representation of human referents. Experimental Psychology, 57, 367–375.

Moulton, J., Robinson, G. M., & Elias, C. (1978). Sex bias in language use: « Neutral » pronouns that aren’t. American Psychologist, 33 (11), 1032-1036.

Quand je serai grande, je serai…

Les équipes de recherche ont étudié le lien entre forme grammaticale et activation de représentations mentales chez les enfants.

Leurs résultats montrent que tout comme chez les adultes, la présentation des métiers sous la forme grammaticale masculine (sens spécifique et générique) (ex. Deviens directeur !) active davantage de représentations masculines que les formulations conjointes (ex. Deviens directrice ou directeur !) ou épicènes (ex. Dirige ta propre équipe !).

L’activation des représentations masculines

L’activation des représentations masculines dans le cerveau est indépendante du sexe et de l’âge des personnes enquêtées.

Présenter les métiers avec la forme grammaticale féminine est de haute importance, car « les élèves ont significativement plus confiance en (elles et en) eux [pour entamer des études] lorsque les professions sont présentées avec la marque du genre grammatical féminin. La féminisation lexicale des professions apparaît en ce sens comme un moyen susceptible de contrer certains aspects sexistes de la langue française. »
(Chatard, A., Guimond, S., Lorenzi-Cioldi, F., & Désert, M. (2005). Domination masculine et identité de genre [Male dominance and gender identity]. Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 67-68, 113–123.)

Présenter les métiers sous la forme conjointe

Une étude récente montre également que « même pour des métiers qui ne sont pas stéréotypés du point de vue du genre, comme les musiciens, les enfants pensent tout de même que les hommes ont plus de chance d’y réussir que les femmes lorsque ceux-ci ne leur sont présentés qu’au masculin » (Vervecken, D., Gygax, P., Gabriel, U., Guillod, M., & Hannover, B. (2015). Warm-hearted businessmen, competitive housewives? Effects of gender-fair language on adolescents’ perceptions of occupations. Frontiers in Psychology, 6. doi:10.3389/fpsyg.2015.01437).

Ainsi, dès l’enfance, il est fondamental de présenter les métiers sous la forme conjointe (ex. le métier de chirurgienne et chirurgien, le métier d’infirmière et d’infirmier), de manière non stéréotypée du point de vue du genre, ceci afin d’encourager les enfants à entamer des études dans les professions où leur sexe est sous-représenté.

Références

Brauer, M. (2008). Un ministre peut-il tomber enceinte ? L’impact du générique masculin sur les représentations mentales. L’année psychologique. vol. 108, n°2. pp. 243-272.

Chatard, A., Guimond, S., Lorenzi-Cioldi, F., & Désert, M. (2005). Domination masculine et identité de genre [Male dominance and gender identity]. Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 67-68, 113–123.

Gygax, P. M., Gabriel, U., Sarrasin, O., Garnham, A. & Oakhill, J. (2009). Some grammatical rules are more difficult than others: The case of the generic interpretation of the masculine. European Journal of Psychology of Education, 24, 235-246.

Gygax, P.M., Sarrasin, O., Lévy, A., Sato., S., & Gabriel, U. (2013). La représentation mentale du genre pendant la lecture : état actuel de la recherche et directions futures. Journal of French Language Studies, 23, 243-257.

Moulton, J., Robinson, G. M., & Elias, C. (1978). Sex bias in language use: « Neutral » pronouns that aren’t. American Psychologist, 33 (11), 1032-1036.

Vervecken, D., Gygax, P., Gabriel, U., Guillod, M., & Hannover, B. (2015). Warm-hearted businessmen, competitive housewives? Effects of gender-fair language on adolescents’ perceptions of occupations. Frontiers in Psychology, 6. doi:10.3389/fpsyg.2015.01437

Une avocat, une femme avocat ou une avocate ?

« Si on explique à une femme qu’elle est avocat, et qu’elle ne peut pas être avocate, on reproduit dans notre tête que c’est une profession pour les hommes. » (Interview d’Eliane Viennot sur France Culture – Sinard, Alisonne. Ecriture inclusive : le féminin pour que les femmes cessent d’être invisibles28.09.2017)

La rédaction des annonces de poste est une étape clé pour encourager les candidatures féminines. En effet, les équipes de recherches ont démontré que l’utilisation de la forme masculine générique (ex. lineman, frontman) ou la forme épicène (ex. lineworker, frontworker) pour décrire le profil recherché n’attirait pas beaucoup de candidates féminines.

Le masculin générique active des représentations masculines

Non seulement rédiger l’annonce au masculin générique active des représentations masculines chez les femmes et les hommes, mais en plus, les catégories professionnelles sont marquées par des stéréotypes de genre.

Lorsque l’on demande à un groupe mixte de personnes de décrire un profil typique pour une catégorie professionnelle – même si la profession est exercée par autant de femmes que d’hommes –  ce groupe imaginera un profil masculin dans la majorité des cas.

Les équipes de recherches ont également démontré que l’utilisation du mot « individu » influençait notre perception et activait la représentation masculine.

Ainsi, afin d’encourager les candidatures féminines, il est recommandé de formuler le profil recherché en prenant soin d’y intégrer la forme féminine. L’utilisation du mot « individu » est à proscrire au profit de « personne ».

Références

Bem, S. L., & Bem, D. J. (1973). Does sexbiased job advertising “aid and abet” sex discrimination? Journal of Applied Social Psychology, 3, 6-18.

Brauer, M. (2008). Un ministre peut-il tomber enceinte ? L’impact du générique masculin sur les représentations mentales. L’année psychologique. vol. 108, n°2. pp. 243-272.

Chatard, A., Guimond, S., Lorenzi-Cioldi, F., & Désert, M. (2005). Domination masculine et identité de genre [Male dominance and gender identity]. Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 67-68, 113–123.

Moulton, J., Robinson, G. M., & Elias, C. (1978). Sex bias in language use: « Neutral » pronouns that aren’t. American Psychologist, 33 (11), 1032-1036.

Sinard, Alisonne. Ecriture inclusive : le féminin pour que les femmes cessent d’être invisibles. France culture, 28.09.2017

Illustrations:
© Hélène Becquelin