Communiqué de presse

L' « effet Mozart » : une légende urbaine traquée par deux chercheurs...

Neuchâtel, le 10 août 2005. Non, la musique classique ne stimule pas le développement de l'enfant ! Quelle est l'origine de ce mythe appelé l'« effet Mozart » ? Comment naissent les légendes pseudo-scientifiques, dites aussi « urbaines »? C'est ce que le professeur de l'Institut de psychologie du travail et des organisations de l'Université de Neuchâtel, Adrian Bangerter, et son collègue de Stanford, Chip Heath, ont cherché à comprendre et à analyser.

Sans vouloir passer pour des briseurs de mythes, il faut l'affirmer d'emblée : l'écoute de la musique classique ne rend pas les enfants plus intelligents ! Pourtant, en 12 ans, l' « effet Mozart », comme l'ont appelé les scientifiques, a fait de nombreux adeptes... Se basant sur l'effet Mozart deux chercheurs, dont le Neuchâtelois Adrian Bangerter, se sont penchés sur la construction et la diffusion de croyances populaires dans le cadre d'un article* publié récemment dans une revue spécialisée, le British Journal of Social Psychology.

Jugez-en plutôt : en 1993, un article paru dans le magazine Nature soutient que les étudiants écoutant une sonate de Mozart pendant 10 minutes réalisent de meilleures performances à un test d'intelligence spatial ; en 1994 et 1997, on prouve que des enfants d'âge préscolaire ayant reçu un enseignement de solfège obtiennent de meilleurs résultats à des tests similaires... Il n'en faut pas davantage pour que le phénomène appelé « effet Mozart » prenne son envol.

En recourant à des banques de données, Adrian Bangerter et son collègue Chip Heath constatent en effet que des centaines d'articles de presse font référence à cet effet Mozart. En 1998, la Géorgie est le premier Etat américain (bientôt suivi par d'autres) à distribuer des CD de musique classique aux jeunes mamans, la Floride exige que dans les jardins d'enfants subventionnés par l'Etat, de la musique classique soit diffusée quotidiennement. La propagation de l'information est internationale puisque plus de 30 pays en font mention. Des jouets pédagogiques, des collections de CD, des livres populaires exploitant l'argument marketing des vertus de la musique classique fleurissent dans les rayons des magasins.

Jouer sur la corde sensible : l'anxiété collective
Pourquoi un tel succès pour cet effet Mozart ? Aux Etats-Unis, on a clairement touché à une corde sensible liée à l'éducation des enfants. Le duo de scientifiques americano-suisse découvre que plus l'éducation primaire est mauvaise, plus on y développe l'effet Mozart comme une échappatoire pour gérer l'anxiété culturelle des parents de vouloir offrir une meilleure éducation à leurs enfants. Pour cette affirmation, Chip Heath et son collègue suisse se sont appuyés sur les indicateurs que sont le salaire moyen des enseignants, les performances scolaires des enfants et le part du budget d'Etat octroyé par élève.

Transformation du message d'origine
On le constate, la déformation de l'information de base est importante : les nouveau-nés n'ont jamais fait l'objet d'une étude scientifique quant à leur réaction à la musique classique ; dès 1997 cependant, ils sont davantage mentionnés dans les articles de presse que la population d'origine (des étudiants universitaires). Aux Etats-Unis, médias et milieux politiques se sont saisis de l'information quant aux vertus de la musique classique et l'ont adaptée à leurs propres besoins (préoccupation culturelle quant à l'éducation primaire) par un phénomène d'imitation. En 1999, une étude globale (appelée aussi méta-analyse) menée par un psychologue du développement a montré que l'effet général de l'écoute de la musique classique était négligeable : depuis lors, l'intérêt des médias pour l'effet Mozart est allé décroissant...

Le paradoxe français : plus de rouge, moins de maladies cardiaques
Imitation n'est pas raison. Les phénomènes d'imitation constituent pourtant un phénomène récurrent en psychologie sociale, à l'image d'une autre croyance populaire qu'est le  « paradoxe français » : en effet selon des études scientifiques, les Français mangent en général plus gras, mais souffrent de moins de maladies cardiaques que les Américains. Pourquoi une telle disparité? La raison réside semble-t-il dans la consommation importante de vin rouge de nos voisins de l'Hexagone. Suite à cette étude, médias et industrie viticole américains se sont emparés de cette « souche fertile » pour augmenter les ventes de vin aux Etats-Unis en usant d'arguments liés... à la santé !

*The Mozart effect : Tracking the evolution of a scientific legend


Renseignements : Institut de psychologie du travail et des organisations, professeur Adrian Bangerter Tél. : 032 718 1390, courriel : adrian.bangerter@unine.ch