Communiqué
Petite révolution dans l'histoire du sexe
23 mars 2011
Des biologistes de l'Université de Neuchâtel publient cette semaine un article scientifique qui bouleverse les recherches sur l'origine de la sexualité. Contrairement à ce qui était admis jusqu'à présent, les amibes, organismes microscopiques extrêmement présents dans le monde vivant, pratiquent le sexe. C'est ce que démontre une équipe de scientifiques neuchâtelois dans un article qui paraît aujourd'hui dans la prestigieuse revue Proceedings of the Royal Society B. Un article qui relance un débat vieux comme le monde : à quoi peut bien servir la sexualité ?
Elles sont petites, elles bougent lentement mais... elles le font ! Les amibes se livrent à des échanges sexuels. La nouvelle émane d'une équipe de chercheurs constituée notamment de plusieurs biologistes de l'Université de Neuchâtel. Leur crédo ? « Faire tomber le mythe de ces amibes purement asexuées qui perdure depuis trop longtemps », martèle le directeur du Laboratoire de biologie du sol de cette université, Edward Mitchell.
Loin de vouloir ternir la vertu d'organismes aussi inoffensifs que les amibes, les chercheurs s'en prennent néanmoins vertement à leur chasteté en réévaluant les preuves de sexe chez ces micro-organismes. C'est d'ailleurs le titre de leur article publié en ligne ce matin dans la prestigieuse revue scientifique britannique
Proceedings of the Royal Society B
: « The chastity of amoebae: re-evaluating evidence for sex in amoeboid organisms ». Un article qui risque bien de faire date dans l'histoire des origines de la sexualité.
La question de savoir à partir de quand le vivant s'est mis à recombiner son patrimoine génétique avec autrui ne date pas d'hier. Mais jusqu'à présent, la séparation entre des organismes dits « évolués » ou « supérieurs » et d'autres soi-disant plus simples générait une vision claire et logique de l'évolution du sexe. Les petits êtres rudimentaires, comme les amibes, présents depuis longtemps sur Terre, se contentaient d'une reproduction asexuée. Les organismes plus compliqués, apparus plus tard, se devaient de recombiner leurs gènes avec leurs conspécifiques pour obtenir la solution la plus performante.
Pour l'un des auteurs, Enrique Lara, biologiste au Laboratoire de biologie du sol de l'Université de Neuchâtel, il règne depuis longtemps une certaine confusion entre sexe et reproduction. « Si, chez des vertébrés comme l'humain, les deux choses sont intimement liées, les amibes les séparent clairement. Elles peuvent mélanger deux génomes différents d'une part, pratiquant ainsi une forme de sexualité, et se reproduire d'autre part, en se divisant par exemple en deux, de façon totalement asexuée. » L'étude, publiée en ligne ce mercredi 23 mars 2011, entend ainsi réintroduire une certaine complexité au sein d'organismes unicellulaires longtemps considérés à tort comme des êtres simples.
« Les recherches sur la sexualité sont basées en grande partie sur les animaux. Ce que nous voulons, reprend Enrique Lara, c'est montrer que les amibes, c'est-à-dire des micro-organismes unicellulaires, représentent un champ d'investigation tout aussi valable et beaucoup plus large. Nous pensons, en effet, que l'origine du sexe est antérieure à l'apparition de ces derniers. » En effet, les biologistes du Laboratoire de biologie du sol de l'Université de Neuchâtel appuient leur argumentation sur les dernières reconstructions de l'arbre de la vie (schéma montrant les relations de parentés entre tous les organismes vivants). Cet arbre montre les amibes comme autant d'organismes ayant évolué indépendamment à l'intérieur de la quasi-totalité des eucaryotes. Au contraire des animaux qui occupent une seule petite branche latérale. Pour rappel, les eucaryotes regroupent tous les organismes uni- ou pluricellulaires qui se caractérisent par la présence, dans leurs cellules, d'un noyau et (pour la majorité d'entre eux) de mitochondries. Ils s'opposent en cela notamment aux bactéries. Ce détail montre à quel point les amibes, morphologiquement plus proches du barbapapa que de l'humain, sont néanmoins nos « lointains cousins ».
Les constatations publiées par les chercheurs reposent sur un important travail d'investigation bibliographique. « Nous avons compulsé des observations faites par des chercheurs il y a un certain temps déjà et consignées dans des articles scientifiques », explique Enrique Lara. Particularité intéressante ! Ces biologistes d'un autre temps avaient déjà mis en évidence des signes de sexualité chez les amibes. Mais, de façon assez mystérieuse, leur découverte était restée lettre morte. Il est vrai que pour accéder à ces travaux anciens, il est souvent nécessaire de maîtriser plusieurs langues, dont le russe! Les scientifiques neuchâtelois entendent bien faire aujourd'hui entendre ces paroles d'anciens scientifiques, qui, paradoxalement, semblent confirmées par les toutes dernières découvertes en biologie moléculaire. Quitte à découvrir que le sexe, chez les micro-organismes, finit aussi de temps en temps par ces mots: « Restons amibes, si tu le veux bien » !
Cette étude publiée par les Proceedings of The Royal Society B est le fruit d'une collaboration entre des chercheurs de l'Université de Massachussetts (USA), de l'Université de Neuchâtel et du Smith College de Northampton (USA).
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chercheur au Laboratoire de biologie du sol de l'Université de Neuchâtel
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