Comment la Suisse a-t-elle géré la situation des personnes déracinées qui y avaient trouvé refuge pendant la Second Guerre mondiale, dans la période qui a suivi la fin du conflit? La question a fait l’objet d’une thèse de doctorat tout récemment soutenue à l’Université de Neuchâtel par l’historien Ramon Wiederkehr.
C’est un sujet rarement abordé par les spécialistes d’histoire contemporaine auquel s’est attelé le chercheur. Celui du devenir entre 1943 et 1952 des ancien-ne-s déporté-e-s, des travailleurs et travailleuses forcé-e-s, des réfugié-e-s politiques ou des membres de minorités persécutées arrivé-e-s en Suisse lors du conflit mondial.
La période étudiée se situe entre la création de la United Nations Relief and Rehabilitation Administration (UNRRA) et la dissolution de l'Organisation internationale pour les réfugiés (OIR). Ces deux instances ont joué un rôle dans le positionnement transnational et paradoxal de la Suisse vis-à-vis des personnes déplacées dans le mandat international dont elles relèvent.
«En effet, alors qu’elle affirme sa neutralité, la Suisse s'inscrit dans un dispositif international mis en place par les alliés à travers les acteurs tels que l'UNRRA et l'OIR», relève Ramon Wiederkehr. Ainsi, la Suisse apparaît «moins comme un sanctuaire humanitaire (…) que comme une plaque tournante («Drehscheibe»), reflet des tensions entre indépendance, humanitarisme et intérêts géopolitiques au sortir de la guerre». La thèse accorde une attention particulière aux individus qui subissent cette situation plutôt qu’aux mesures politiques qui y sont liées.
Départs collectifs
Pour illustrer ce propos, le chercheur mentionne trois départs collectifs de la Suisse vers l’Australie entre octobre 1949 et septembre 1950. Ils étaient organisés par l‘OIR, une agence des Nations unies chargées de réinstaller les personnes déplacées. Ce qui frappe Ramon Wiederkehr, c’est la formidable capacité d'agir déployée par les personnes déplacées elles-mêmes.
«Malgré les contraintes imposées par les régimes nationaux et internationaux (restrictions en matière d'asile, conditions d'entrée, catégorisations, etc.), ces individus ont trouvé [en Suisse] des stratégies pour améliorer leur situation.» Comme l’indique un article de presse de l’époque, ces gens étaient parfaitement intégrés à leur pays d’accueil. Ils y ont fondé des familles et parlaient suisse-allemand aussi bien que leur langue maternelle. Et pourtant, on les forçait à partir.
La Suisse a donc bel et bien été, pendant l'immédiat après-guerre, juste une "Transitheimat" («Patrie de transit») pour des milliers de gens. Cette existence «transitoire» fut certes marquée par l'insécurité, mais aussi par une certaine ouverture qui s'exprimait dans les nombreuses interactions entre les migrant-e-s séjournant en Suisse, la politique helvétique et les organismes de l’ONU gérant au niveau international la question des personnes déplacées.