Projet Journal helvétique

Projet FNS: Le Journal helvétique: un espace de médiation culturelle

Publié sans interruption de 1732 à 1782, le Journal helvétique est le périodique le plus important de la Suisse francophone au XVIIIe siècle. Joignant l’amusement à l’instruction, il propose non seulement des dissertations sur les objets les plus divers, mais encore des nouvelles politiques, des recensions de livres et des pièces littéraires, entre autres types de textes. Des débats intellectuels sont menés, livraison après livraison, au sein même du journal par des savants de Suisse et d’ailleurs. En outre, le Journal helvétique constitue une source essentielle pour l’étude de la littérature en Suisse francophone : d’importantes questions touchant aux genres et aux pratiques littéraires y sont discutées et de nombreux poèmes originaux y sont publiés.

Objet riche et complexe, le Journal helvétique mérite d’être étudié dans une perspective interdisciplinaire. Deux questions liées au périodique et à ses collaborateurs retiendront particulièrement notre attention. Dans une perspective historique, nous nous intéresserons à la réflexion qui, dans la première moitié du siècle, s’articule autour de la définition de l’historien et de l’antiquaire, et dont le savant Louis Bourguet – premier éditeur du journal – apparaît comme une figure centrale. Dans une perspective littéraire, nous étudierons l’émergence d’une poésie nationale en langue française au fil du siècle, dont le critique littéraire Henri-David Chaillet – dernier rédacteur du journal – se fait le promoteur.

 

Actualité :

Lectures du Journal helvétique (1732-1782) : acteurs, modèles, contenus et publics d’un périodique d’Ancien Régime Colloque international, Université de Neuchâtel, 6-8 mars 2014.

Programme complet : cliquer ici.

Créé en 1732 à Neuchâtel par Louis Bourguet et interrompu en 1782, le Mercure suisse – qui prendra successivement le titre de Journal helvétique, de Nouveau journal helvétique et de Journal de Neuchâtel – est un périodique exceptionnellement durable. Témoin et acteur de la vie culturelle et intellectuelle, il permet la diffusion et la promotion des idées et des savoirs. En dehors des nombreux rédacteurs anonymes, ses contributeurs comptent des savants et des hommes de lettres illustres de Neuchâtel, Genève, Berne, Lausanne, Bâle ou Zurich, ainsi que des correspondants étrangers. Répondant aux attentes d’un public large, le Journal helvétique adopte une vocation multifonctionnelle : c’est une gazette littéraire, scientifique et politique, qui se présente comme un lieu privilégié de l’esprit critique, de débats savants et de création poétique.

Louis Bourguet, le fondateur du Mercure suisse/Journal helvétique, édite celui-ci pendant dix ans, jusqu’à sa mort en 1742. Ce savant cosmopolite français, fils de réfugié huguenot, possède un réseau de correspondants d’envergure européenne, qui inclut des personnalités comme Leibniz et Réaumur. Naturaliste, numismate, philosophe et grand connaisseur des langues anciennes, il offre des contributions très variées au périodique. De 1767 à 1769, un autre grand acteur de la vie intellectuelle en Suisse francophone prend en charge la rédaction des articles : l’encyclopédiste et imprimeur Fortunato Bartolomeo De Felice. Plus tard, Jean-Élie Bertrand et la Société typographique de Neuchâtel (STN) assument la rédaction et l’impression du journal, avec le désir essentiel de promouvoir, à travers lui, l’ensemble de la production littéraire suisse, tout en marquant une ouverture vers la France par l’effort de s’attacher des correspondants parisiens. À la mort de Jean-Élie Bertrand (1779), le pasteur neuchâtelois Henri-David Chaillet offre au Journal helvétique des critiques littéraires indépendantes et fines, qui lui attirent une certaine renommée jusque dans les salons parisiens.

Les éditeurs successifs contribuent à redéfinir le contenu du journal, à en remodeler la structure et à saisir l’évolution du lectorat et de ses attentes. Ils rédigent eux-mêmes la plus grande partie des articles. Mais ces personnalités ne sont pas seules à produire des textes. Les nouvelles politiques sont souvent des articles de seconde main, empruntées à d’autres périodiques européens. Parmi les contributeurs occasionnels, on rencontre le botaniste et poète neuchâtelois Jean-Laurent Garcin, le journaliste français Grimod de la Reynière, Voltaire, le magistrat et publiciste vaudois Gabriel Seigneux de Correvon, le naturaliste et pasteur à Berne Élie Bertrand, le juriste neuchâtelois Emer de Vattel, l’abbé Prévost, le marquis d’Argens, le mathématicien bâlois Daniel Bernoulli, l’écrivain français Baculard d’Arnaud, le juriste genevois Jean-Jacques Burlamaqui, le philosophe lausannois Jean-Pierre de Crousaz, le médecin et poète bernois Albert de Haller, le juriste lausannois Charles-Guillaume Loys de Bochat, l’éditeur calviniste genevois Jacob Vernet, et bien d’autres. Quant au lectorat, il est loin de regrouper les seuls membres de l’élite savante. Les lettres de lecteurs et de lectrices témoignent de sa grande diversité. C’est que le Journal helvétique cherche à satisfaire les goûts et les attentes du plus grand nombre.

Lieu de réception des idées et des oeuvres des Lumières européennes, lieu d’échange intellectuel des Lumières suisses, le Journal helvétique est un médiateur culturel qui participe à l’élaboration des normes du jugement esthétique et moral, et qui permet de cerner, dans la Suisse du XVIIIe siècle, les pratiques de pensée en société.

 

Le Journal helvétique n’a fait l’objet que d’un nombre limité de travaux, souvent partiels ou déjà anciens. Une partie de ces études présente, à la suite de Gonzague de Reynold, le Journal helvétique comme le principal organe de promotion de l’helvétisme, entendu comme l’expression du patriotisme de l’époque. Or ce point de vue mérite aujourd’hui un réexamen. En effet, les principaux rédacteurs du Journal helvétique – et notamment son fondateur Louis Bourguet – sont moins les chantres d’un sentiment national que des savants cosmopolites intégrés dans les réseaux d’une République des lettres qui transcende les territoires nationaux.

En dehors de cette approche helvétiste, le journal a souvent été déconsidéré, son contenu paraissant trop médiocre pour susciter de l’intérêt. Un tel point de vue doit sans doute beaucoup aux critiques que le journal essuie, dès le XVIIIe siècle, de la part d’écrivains influents. Jean-Rodolphe Sinner de Ballaigues, l’auteur d’un Voyage historique et littéraire en Suisse occidentale, reproche au Journal helvétique ses mauvais jeux d’esprit qui, dans chaque livraison, paraissent sous la forme d’énigmes ou de logogriphes. Jean-Jacques Rousseau, quant à lui, regrette dans ses Lettres écrites de la montagne qu’on trouve la critique de ses ouvrages dans « le fumier du Mercure de Neuchâtel ». À leur suite, Philippe Godet et Virgile Rossel considèrent que les pièces en vers proposées par le périodique pendant toute la durée de son existence sont irrémédiablement mauvaises, en dehors d’une poignée d’exceptions. Ces points de vue dépréciatifs seront persistants.

Cependant, depuis une trentaine d’années, le Journal helvétique est l’objet de quelques études ponctuelles et ciblées de la part d’historiens comme Jean-Daniel Candaux et Michel Schlup, et de littéraires comme Rodolphe Zellweger ou Alain Cernuschi, qui mettent en évidence la richesse d’une telle source et la diversité de ses exploitations possibles.

Il reste à porter un regard d’ensemble sur le périodique pour comprendre, dans toute sa complexité, son double rôle de vecteur et acteur culturels à travers ses cinquante années d’existence. Pour ce faire, nous privilégierons une approche interdisciplinaire, qui alliera une étude structurelle du Journal helvétique et une réflexion sur son intertion dans le maillage européen des publications périodiques. Notre recherche associera les efforts de deux doctorants, l’un littéraire et l’autre historien. Elle tirera profit de divers fonds d’archives encore partiellement sous-exploités, comme ceux de Louis Bourguet, d’Henri-David Chaillet et de la Société typographique de Neuchâtel, tous trois conservés à la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel. Enfin, dans le cadre de l’école doctorale « La Suisse dans les Lumières européennes », nous maintiendrons un dialogue avec des chercheurs des universités de Lausanne, Genève et Berne, qui consacrent leurs travaux aux Lumières helvétiques.

Ouvrages

CRUCITTI ULLRICH Francesca Bianca, La « Bibliothèque italique ». Cultura « italianisante » e giornalismo letterario, Milan, Naples, Riccardo Ricciardi Editore, 1974.

GUYOT Charly, La vie intellectuelle et religieuse en Suisse française à la fin du XVIIIe siècle : Henri-David de Chaillet, 1751-1823, Neuchâtel, La Baconnière, 1946.

REYNOLD (DE) Gonzague, Histoire littéraire de la Suisse au XVIIIe siècle, Lausanne, G. Bridel, 1909-1912.

STÖRI Fritz, Der Helvetismus des « Mercure suisse » (« Journal helvétique »), 1732-1784. Ein Beitrag zur Geschichte des schweizerischen Nationalbewusstseins, Zurich, Juris-Verlag, 1953.


Articles

CANDAUX Jean-Daniel, « D’Argens et les Suisses : le dossier du « Journal helvétique » », in VISSIÈRE Jean-Louis (dir.), Le Marquis d’Argens. Colloque international de 1988, Aix-en-Provence, Service des publications de l’Université de Provence, 1990, p. 185-198.

CANDAUX Jean-Daniel, « Le Mercure suisse dans son premier lustre (1732-1737) : un périodique à la recherche de son public », in BOTS Hans (dir.), La diffusion et la lecture des journaux de langue française sous l’Ancien Régime. Actes du colloque international de Nimègue 3-5 juin 1987, Amsterdam et Maarssen, Holland University Press, 1988, p. 49-57.

CANDAUX Jean-Daniel, « Les gazettes helvétiques : inventaire provisoire des périodiques littéraires et scientifiques de langue française publiés en Suisse de 1693 à 1795 », in COUPERUS Marianne, L’étude des périodiques anciens. Colloque d’Utrecht, Paris, Nizet, 1973, p. 126-171.

CERNUSCHI Alain, « Lettres et belles-lettres dans les métamorphoses du Journal helvétique (1732-1782) : quelques sondages », Annales Benjamin Constant, no 18-19, 1996, p. 117-126.

DONATO Clorinda, « L’abbé Bergier et le Journal helvétique : dix-sept articles contre Voltaire et le Dictionnaire philosophique », in

COOK Malcolm et PLAGNOL-DIÉVAL Marie-Emmanuelle (éd.), Critique, critiques au 18e siècle, Berne, Peter Lang, 2006, p. 127-136.

ENGEL Claire-Éliane, « L’abbé Prévost collaborateur d’une revue neuchâteloise », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, vol. II, 1956, p. 225-232.

FRANCILLON Roger, « L’helvétisme au XVIIIe siècle : de Béat de Muralt au Doyen Bridel », in FRANCILLON Roger (dir.), Histoire de la littérature en Suisse romande, Lausanne, Payot, 1996-1999, t. I, p. 225-241.

GIDDEY Ernest, « Du « Spectator » anglais à quelques « Spectateurs » suisses (1710-1765) », Revue historique vaudoise, 1963, p. 81-88.

GODET Marcel, « Au temps de la « Respublica litterarum » : Jacob Christophe Iselin et Louis Bourguet », in Festschrift Karl Schwarber. Beiträge zur schweizerischen Bibliothek-, Buch- und Gelehrtengeschichte, Bâle, B. Schwabe, 1949, p. 117-127.

GUYOT Charly, « Jean-Jacques Rousseau écrivain jugé par les Neuchâtelois », Revue neuchâteloise, no 19, p. 7-10.

HUGUENIN Séverine et LÉCHOT Timothée, « Les noyés du Mercure suisse : production et diffusion d’un savoir scientifique dans la première moitié du XVIIIe siècle », in Pierre-Olivier Léchot, Virginie Pasche (dir.), Neuchâtel dans le concert des Lumières européennes. Acteurs locaux et cultures transnationales / Neuchâtel im Konzert der Europäischen Aufklärung. Lokale Akteure und transnationalen KulturenXVIII.ch, vol. 3, 2012, p. 55-71.

HUGUENIN Séverine, « Sociétés littéraires et Journal helvétique (1732-1782) : un échange de bons procédés », Revue historique vaudoise, no 120, 2012, p. 315-327.

JOST François, « L’helvétisme ou la conscience suisse : du Mercure de Neuchâtel à la Gazette de Berne », in JOST François, Jean-Jacques Rousseau suisse, Fribourg, Éditions universitaires, 1961, t. I, p. 81-114.

LÉCHOT Timothée, « Du Parnasse aux Alpes : la critique suisse de la poésie descriptive », Dix-huitième siècle, no 44, 2012, p. 485-502.

LÉCHOT Timothée, « L’exception qui confirme les règles : le génie littéraire de Rousseau perçu par Isabelle de Charrière et Henri-David Chaillet », in Valérie Cossy et al., Jean-Jacques Rousseau et Isabelle de Charrière : regards croisés / Reading Charrière in the light of Rousseau and vice versaCahiers Isabelle de Charrière / Belle de Zuylen papers, no 7, 2012, p. 41-54.

SCHLUP Michel, « Diffusion et lecture du Journal helvétique au temps de la Société typographique de Neuchâtel, 1769-1782 », in BOTS Hans (dir.), La diffusion et la lecture des journaux de langue française sous l’Ancien Régime. Actes du colloque international de Nimègue 3-5 juin 1987, Amsterdam et Maarssen, Holland University Press, 1988, p. 59-71.

SCHLUP Michel, « Le rêve impossible de la STN : un Journal helvétique et « parisien » », in SCHLUP Michel (dir.), L’édition neuchâteloise au siècle des Lumières. La Société typographique de Neuchâtel (1769-1789), Neuchâtel, Bibliothèque publique et universitaire, 2002, p. 143-154.

STOECKLIN Christophe, « Laclos jugé par le Journal helvétique », Revue d’histoire littéraire de la France, no 6, 1976, p. 979-985.

ZELLWEGER Rodolphe, « Guillaume Tell vu par les Neuchâtelois », Musée neuchâtelois, no 1, 1977, p. 3-22.

ZELLWEGER Rodolphe, « Jean-Jacques Rousseau et le Mercure suisse », Musée neuchâtelois, 1983, p. 15-33.

ZELLWEGER Rodolphe, « Le « Mercure suisse » de Neuchâtel : « délicat » ou « détestable » », Musée neuchâtelois, 1976, p. 3-16.

ZELLWEGER Rodolphe, « « Ô Haller ! Ô Gessner ! Ô Bodmer ». Le « Journal helvétique » et la littérature suisse-allemande », Musée neuchâtelois, 1979, p. 123-138.

ZELLWEGER Rodolphe, « Une cause célèbre du « Mercure suisse » : la défense de la nation helvétique », in RYCHNER Jacques et SCHLUP Michel, Aspects du livre neuchâtelois. Études réunies à l’occasion du 450e anniversaire de l’imprimerie neuchâteloise, Neuchâtel, Bibliothèque publique et universitaire, 1986, p. 37-58.

Fonds national suisse de la recherche scientifique : http://www.snf.ch/F/Pages/default.aspx

École doctorale « La Suisse dans les Lumières européennes » : http://www.unil.ch/ed18

Lumières.Lausanne – sources et recherche sur le XVIIIe siècle suisse : http://lumieres.unil.ch

LIRE (Lyon) – Gazettes européennes du XVIIIe siècle : http://www.gazettes18e.fr/

Dictionnaire des journaux (1600-1789) en ligne : http://dictionnaire-journaux.gazettes18e.fr/

Dictionnaire des journalistes (1600-1789) en ligne : http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/

Le Gazetier Universel (Denis Reynaud), ressources numériques sur la presse ancienne: http://gazetier-universel.gazettes18e.fr/

 

Contacts

Séverine Huguenin, doctorante FNS

Section d’histoire
Anthropole
CH-1015 Lausanne

E-mail : severine.huguenin@unine.ch
Téléphone : +41 21 692 28 88

Timothée Léchot, doctorant FNS

Institut de littérature française
Faculté des lettres et sciences humaines
Espace Louis-Agassiz 1
CH-2000 Neuchâtel

E-mail : timothee.lechot@unine.ch
Téléphone : +41 32 718 18 36