Figurant au nombre des femmes auteurs les plus étudiées du XVIIIe siècle, Isabelle de Charrière revêt une importance toute particulière pour la région neuchâteloise et ses institutions littéraires. Née en Hollande en 1740, Isabelle de Charrière a vécu à Colombier, près de Neuchâtel, de 1771 jusqu’à sa mort en 1805. Une partie des manuscrits originaux est conservée à la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel (BPUN). La BPUN est également le siège de l’Association suisse Isabelle de Charrière.
Deux projets de recherche financés par le FNS ont récemment été consacrés à Isabelle de Charrière à l’Université de Neuchâtel. Le premier projet, réalisé entre 2008 et 2012, a porté sur les écrits publiés après la Révolution française. Le second projet, qui s’est achevé en juillet 2014, visait à proposer une description détaillée de l’esthétique romanesque de l’écrivaine. Une thèse sur Isabelle de Charrière est actuellement en préparation.
Isabelle de Charrière, plus connue aux Pays-Bas sous son nom de jeune fille, Belle van Zuylen, naît près d’Utrecht, en Hollande, le 20 octobre 1740. Issue d’une ancienne famille aristocratique, elle se distingue très jeune par son esprit d’indépendance, sa curiosité intellectuelle et son talent pour les lettres. A l’âge de vingt-deux ans, elle publie de façon anonyme un conte satirique sur la noblesse hollandaise, Le Noble, qui fait scandale. A la même époque, elle entretient une correspondance secrète avec un homme de dix-sept ans son aîné, Constant d’Hermenches, un colonel suisse en garnison à Utrecht. Cette correspondance est à la fois un lieu d’épanouissement intellectuel pour une jeune femme en mal d’interlocuteurs à même de comprendre ses aspirations et une sorte de journal à quatre mains où les détails du quotidien se mêlent à la complexité de deux riches personnalités.
Après plusieurs projets de mariage qui échouent les uns après les autres, Belle épouse en 1771 Charles-Emmanuel de Charrière, un gentilhomme vaudois établi à Colombier, dans la principauté de Neuchâtel, en Suisse. Mésalliance aux yeux de beaucoup, puisque son époux est l’ancien précepteur de ses frères, c’est à ce prix pourtant qu’elle conquiert la liberté dont elle a tant soif.
A partir de 1784 commence une période d’intense activité littéraire, qui ne s’arrêtera que peu de temps avant sa mort. Elle écrit coup sur coup deux romans, les Lettres neuchâteloises et les Lettres de Mistriss Henley, qui seront bientôt suivis des Lettres écrites de Lausanne et de Caliste. En 1787, lors d’un séjour à Paris, elle rencontre Benjamin Constant, neveu de son ancien ami Constant d’Hermenches. Entre ce jeune homme de vingt ans précoce et turbulent et la femme mûre qu’est devenue Isabelle, l’amitié est immédiate. Ils entretiendront pendant quelques années une relation intense, nourrie d’échanges intellectuels, littéraires et politiques, jusqu’à ce qu’en 1794 Mme de Staël, jeune femme brillante et d’un an plus âgée que Benjamin, supplante Isabelle. Toute relation ne sera pas rompue entre eux, mais leur amitié se ressentira des rapports difficiles entre les deux femmes. Appartenant à une autre génération, Isabelle de Charrière ne partage pas tout à fait les idéaux de ces jeunes gens qui marqueront de leur empreinte le XIXe siècle naissant.
La réflexion politique occupe beaucoup les esprits dans les années qui suivent la Révolution française et l’oeuvre d’Isabelle de Charrière en porte la trace. Lettres d’un évêque français à la nation, Lettres trouvées dans des porte-feuilles d’émigrés, Trois femmes : nombreux sont les romans, pièces de théâtre et pamphlets qui se font l’écho des événements qui agitent la France. Les mêmes préoccupations se retrouvent dans les lettres qu’elle échange avec ses correspondants : Benjamin Constant, mais aussi les frères Malarmey de Roussillon, Jean-Pierre de Chambrier d’Oleyres ou encore Pierre-Alexandre Du Peyrou.
Epistolière prolixe, Isabelle de Charrière a aussi été un mentor ambitieux et affectueux pour des jeunes filles de son entourage à qui elle enseignait l’anglais, conseillait des lectures ou qu’elle initiait à l’écriture de romans. Passionnée de musique, elle s’est également essayée à la composition. Il nous reste d’elle des romances, des menuets, des sonates ainsi que des livrets d’opéra.
Isabelle de Charrière est morte le 27 décembre 1805, dans sa demeure du Pontet à Colombier.
Depuis une cinquantaine d’années, l’œuvre d’Isabelle de Charrière suscite l’intérêt des chercheurs aussi bien en Europe que sur le Nouveau Continent. Des travaux universitaires lui sont régulièrement consacrés en Suisse et aux Pays-Bas, mais également en France, en Belgique, en Italie, en Angleterre, au Canada et aux Etats-Unis. Cet intérêt s’explique par la diversité des sujets abordés par l’écrivaine, qui se trouve aux confluents de multiples approches théoriques : études genre, philosophie des Lumières, histoire de l’éducation, histoire des idées, théorie littéraire, etc. Aux Pays-Bas, l’œuvre d’Isabelle de Charrière a fait l’objet d’un important projet de mise en réseau des textes produits par des femmes auteurs avant 1900 et de leur réception. Les données sont disponibles sur le site Women Writers (NEEW).
Les deux projets FNS qui lui ont été consacrés à l’Université de Neuchâtel ont abouti à la publication de plusieurs travaux scientifiques. Les références et les résumés de ces travaux sont accessibles dans la base de données p3 du FNS.
Intitulé ‘’Penser la rupture : littérature et Révolution dans l’œuvre d’Isabelle de Charrière (1740-1805)’’, le premier projet s’est déroulé entre novembre 2008 et juin 2012. Portant principalement sur les écrits des années 1790, ce projet visait à mettre en évidence le rôle qu’Isabelle de Charrière attribuait à la littérature dans cette période de grandes mutations politiques, philosophiques et esthétiques qu’a été le tournant des Lumières.
Le second projet FNS s’est déroulé entre février 2013 et juillet 2014. Intitulé ‘’Scepticisme et réalisme chez Isabelle de Charrière (1740-1805) : enjeux philosophiques, esthétiques et politiques d’une poétique du vrai’’, ce projet avait pour but de décrire l’esthétique innovante développée par Isabelle de Charrière. La thèse de doctorat actuellement en préparation à l’Université de Neuchâtel constituera le principal résultat de cette recherche. Traitant de théorie de la fiction, d’esthétique et de philosophie du langage, cette thèse vise à rendre compte des rapports entre littérature et philosophie au siècle des Lumières.
Isabelle de Charrière, Œuvres complètes, Amsterdam, G. A. van Oorschot (10 volumes), 1979-1984.
accès au site de présentation des Cahiers Isabelle de Charrière
Valérie Cossy, « Isabelle de Charrière, Frances Burney et le métier d’écrivain », in Une Européenne, Isabelle de Charrière en son siècle, Actes du colloque de Neuchâtel, 11-13 novembre 1993, Hauterive, Neuchâtel, G. Attinger, 1994, pp. 125-140. Visualiser le texte
Ouvrage disponible auprès des éditions Attinger. Le bénéfice des ventes de cet ouvrage est reversé à l’Association suisse Isabelle de Charrière.
Consulter la table des matières
Claire Jaquier, L’Erreur des désirs. Romans sensibles au XVIIIe siècle,
Payot, Lausanne, 1998. Visualiser le texte
Virginie Pasche, doctorante
E-mail : virginie.pasche@unine.ch