Communiqué

les poissons nettoyeurs réagissent à « l'ombre du futur »

Neuchâtel, le 9 juin 2010.  Des poissons tropicaux adaptent leur comportement en fonction des conséquences futures de leurs actions. Pour la première fois, ce comportement, connu chez l'humain, est observé chez un animal. Un biologiste de l'Université de Neuchâtel, en collaboration avec d'autres chercheurs de l'Université de Cambridge, vient de le mettre en évidence.

L'expression « l'ombre du futur » est utilisée par les économistes pour décrire cette capacité des humains à modifier leur comportement envers une autre personne en tenant compte des possibles rencontres futures. S'il s'avère vraisemblable de retomber prochainement nez à nez, les gens coopèrent généralement plus facilement entre eux. S'il semble au contraire improbable que les deux personnes entrent à nouveau en contact, elles se montrent alors plus enclines à se tromper.

Redouan Bshary de l'Université de Neuchâtel et ses collègues de l'Université de Cambridge, en Grande-Bretagne, étudient un poisson nettoyeur (Labroides bicolor) dans son environnement naturel, parmi les récifs coralliens du Pacific sud. Ils viennent de découvrir que ce poisson - de la même façon que l'être humain - réagit à cette « ombre du futur ».

Tout comme leur nom l'indique, les poissons nettoyeurs se nourrissent en enlevant les parasites qui prolifèrent sur la peau, la bouche et les branchies d'autres poissons (considérés comme espèces clientes), dont notamment certains requins. De temps à autre, il leur arrive d'améliorer leur menu en mordant sournoisement dans les mucosités qui recouvrent la peau de leurs clients.

Alors que le débarrassage des parasites relève du comportement coopératif, profitable aux deux espèces, un coup de dent dans le mucus du poisson client peut se révéler potentiellement dangereux pour ce dernier. Le mucus fait en effet partie intégrante de son système immunitaire.

Les chercheurs ont découvert que les poissons nettoyeurs se comportent différemment selon la partie de leur habitat où ils se trouvent. Ils se montrent plus coopératifs - enlevant les parasites de leurs clients - dans les parties de leur habitat où ils passent plus de temps et où ils ont par conséquent plus de chances de retomber à nouveau sur le même poisson client.

Par contraste, ils trichent - en mordant plus souvent dans les mucosités de leurs clients - dans les parties de leur habitat qu'ils visitent moins souvent et où la probabilité de croiser le client qu'ils viennent de tromper n'est pas très élevée.

Afin d'établir qu'un poisson nettoyeur vient de tricher, les éthologues ont pris en compte la réaction du poisson client. En effet, ce dernier sursaute lorsqu'on lui prélève un morceau de mucus.

Les résultats ainsi obtenus suggèrent que, tout comme l'humain, les poissons nettoyeurs sont capables de prendre en compte non seulement les retombées immédiates, mais également les conséquences futures de leurs actions.

Cette étude est parue hier dans la revue Current Biology.

 Jenny Oates, Andrea Manica et Redouan Bshary, « The shadow of the future affects cooperation in a cleaner fish », 8 juin 2010, Current Biology.


« L'ombre du futur » a été décrite pour la première fois en 2005 par Dal Bo dans la revue économique American Economic Review. Des personnes sont invitées à participer à un jeu dans lequel elles peuvent soit coopérer avec leur partenaire, soit le tromper. Dans le cas où toutes deux coopèrent, le même montant d'argent leur est versé. Si l'une seulement opte pour la coopération tandis que l'autre triche, un montant plus important est versé à la tricheuse. Enfin, quand elles se mettent les deux à tricher, elles n'obtiennent chacune qu'un tout petit montant. Lorsque les joueurs savent pertinemment que le jeu ne sera joué qu'une seule fois, ils se montrent plus enclins à tricher. Cette attitude leur permet en effet de gagner plus d'argent, indépendamment de ce que fait leur partenaire. S'ils se doutent au contraire que le jeu peut durer un nombre indéfini de tours, ils deviennent alors nettement plus coopératifs. Il y a en effet fort à parier qu'ils vont devoir endurer les conséquences futures de leur fourberie, puisque leur partenaire peut riposter en trichant lorsque vient son tour.

Contact


Prof. Redouan Bshary
Université de Neuchâtel
Département d'éthologie
Emile Argand 13
CH-2009 Neuchâtel
Tél. +41 32 718 3005/3000
redouan.bshary@unine.ch

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