Communiqué

Mille lettres racontent la vie d'une Neuchâteloise du début du XXe siècle

02 novembre 2021

Dans le cadre de sa thèse de doctorat à l’Université de Neuchâtel, Daniel Bornoz s’est attelé à l’analyse de plus de mille lettres envoyées par Amy Bovet (1878-1967) à son époux Pierre (1878-1965), professeur à l’Université de Neuchâtel puis directeur de l’Institut Jean-Jacques Rousseau à Genève. Le but : approfondir les connaissances existantes sur les femmes — plus spécifiquement sur une femme — ayant vécu dans la première moitié du XXe siècle à Neuchâtel. Son travail a été défendu début septembre.

La thèse est intitulée « Être femme dans la première moitié du XXe siècle à Neuchâtel : les lettres d'Amy Bovet, née Babut. Entre gouvernance familiale, vie spirituelle et engagement social ». Intéressé à la fois par l’histoire et la pédagogie, le doctorant Daniel Bornoz apprend l’existence de lettres échangées par les époux Bovet et retrouvées à Areuse, le berceau familial du couple. Ces archives n’ayant pas encore été déposées, c’est un travail d’enquête qui s’impose (voir la vidéo). Pierre Bovet, très actif professionnellement, sera souvent absent, tout comme son épouse Amy, dont la famille réside en France. Au final, Amy et Pierre Bovet auront échangé plus de deux mille courriers durant cinquante-six ans.

Daniel Bornoz a pris le parti de n’analyser méthodiquement que les lettres de l’épouse – un travail néanmoins titanesque qu’il entreprendra pendant plus de dix ans en parallèle de son métier d’enseignant puis de formateur d’adultes. La problématique s’articule donc autour de la vie de cette femme et nous propose son regard sur la société de son époque.

Si l’analyse d’une correspondance intime entre des époux pourrait apparaître comme intrusive, il faut savoir que ces missives étaient dans la plupart des cas lues à haute voix dans le cercle familial, mais aussi devant des amis ou convives. Daniel Bornoz a d’ailleurs trouvé un passage où Amy Bovet s’excuse auprès de son mari après avoir lu à sa mère un passage qu’elle aurait dû taire.

Le travail de recherche met en évidence le mode de pensée, le mode de vie, les pratiques et les relations qu’entretiennent une femme et un homme de la moyenne bourgeoisie suisse romande. La thèse restitue aussi les rôles qu’une femme de ce milieu endosse : épouse d’un homme relativement connu, quelle était la vie d’Amy Bovet ?

Force est de constater qu’elle menait une existence bien à elle, remplie, enrichissante, s’investissant dans ce qui lui était possible, même sans exercer de profession rémunérée. Elle fera notamment partie des « Dames de Morges », une association de femmes mariées protestantes qui créera aussi la communauté de Grandchamp. Elle assiste les personnes en situation précaire, sollicitant les bureaux de Bienfaisance pour du travail ou des aides. Amy va également soutenir par sa présence ses sœurs malades du côté de Nîmes. Par ailleurs, elle s’associe aux activités de son mari, pour qui elle représente un appui appréciable. Elle entretiendra une correspondante abondante avec son mari, bien sûr, mais aussi avec ses enfants, les membres de sa famille, et de nombreux amis et connaissances, formant un important réseau de sociabilité.

La thèse touche à l’histoire des femmes et du genre, à l’histoire de la vie privée, des émotions et de la sociabilité. Sont questionnés également le sentiment amoureux, les notions de rôles et de fonctions dévolues à la femme et les concepts de processus identitaires et de présentation de soi.

Puisqu’il partait en voyage…

A la veille d’un départ de Pierre pour New York, Amy lui écrit une lettre qu’il est censé découvrir à son arrivée outre-Atlantique

5 janvier 1926
« Chéri,
Je veux que tu trouves un message de moi pour t'accueillir à ton arrivée à New York. Nous serons bien loin l'un de l'autre quand tu liras ces lignes, mais aucune distance ne pourra empêcher nos cœurs de communion – et j'ai la confiance que ces 3 mois de séparation auront plutôt pour effet de resserrer que de distendre les liens qui nous unissent. Peut-être nous aideront-ils à mieux « réaliser » l'étendue de notre bonheur, le privilège immense que nous avons de nous aimer de telle façon que, lorsque le moment viendra de la grande séparation, le remords n'ajoutera pas son amertume à la douleur de celui qui survivra à l'autre. En tout cas, tu pourras te dire que tu m'as donné un grand, et profond, et paisible bonheur. – Mais il ne faut pas donner à cette lettre le caractère d'un message ultime ! J'espère bien que nous nous reverrons ici-bas et je pense à la joie intense que nous éprouverons lorsque tu débarqueras à Gênes ou à Naples et que tu me serreras dans tes bras. C'est étrange d'écrire tout cela à quelques pas de toi qui écris toi-même dans la lampe sans te douter que je suis en train de t'adresser ce message. C'est émouvant, ces dernières heures avant la séparation. On voudrait retenir les minutes qui fuient inexorablement. « Partir, c'est mourir un peu ». Je ne l'ai jamais senti aussi bien qu'aujourd'hui.
Je t'embrasse, mon Pierre bien-aimé et je serai aussi entièrement à toi, au moment où tu liras ces lignes que je le serai ce soir, ou demain matin, lorsque tu me serreras dans une dernière étreinte.
Ta petite Amy ».

Référence :
Daniel Bornoz, Être femme dans la première moitié du XXe siècle à Neuchâtel: les lettres d'Amy Bovet, née Babut. Entre gouvernance familiale, vie spirituelle et engagement social, thèse de doctorat sous la direction du Prof. Laurent Tissot, Université de Neuchâtel, 2021

Contact :

Daniel Bornoz
danjeanne@bluewin.ch

Coordonnées de contact complètes dans le communiqué au format pdf