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L'Escouade

Association L’Escouade : Agir sur l’espace public à Genève

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Changement de noms de rues, clitoris à la craie, tissus violets sur des statues et biographies de femmes*[1] dans l'espace public. Ce sont quelques méthodes avec lesquelles l’association féministe genevoise L’Escouade attire l'attention sur l’invisibilisation des femmes* dans l'espace public. Si les violences sexistes prennent place principalement dans les espaces privés, elles découlent néanmoins des inégalités de genre qui sont systémiques et qui s'ancrent dans nos représentations mentales. Par conséquent, agir sur l’espace public, c’est aussi agir sur ces représentations. Nous allons nous pencher sur les modes d’action de cette association dans l’espace public.

L’Escouade, c’est qui ?

L'Escouade est une association féministe qui milite pour plus d'égalité entre les genres et pour une plus grande visibilité des femmes* dans les espaces publics. Une dizaine de jeunes femmes* sont impliquées, et dans l’idée que les actions soient pensées et organisées par des personnes susceptibles d’être elles-mêmes concernées par les discriminations sexistes, les hommes cisgenres ne sont pas les bienvenus dans le comité, bien qu’ils puissent s’investir lors de certaines actions.

Que fait l’Escouade ?

Le projet 100Elles* est l’action la plus connue de L’Escouade : cent noms de femmes* qui ont marqué la ville de Genève par leur travail ou leur engagement ont été choisis pour renommer des rues. En collaboration avec des historiennes de l’Université de Genève et la Ville de Genève, cent biographies ont été rédigées afin de faire connaître ces femmes* qui ont marqué l'histoire mais qui ont été oubliées. Parmi les rues qui portent des noms d’individus à Genève, seulement 7% de sont des femmes*. Pourtant les critères selon lesquels iels sont choisi.e.s ne sont à priori pas genrés. Dix de ces rues ont aujourd’hui officiellement changé de nom, les plaques roses ont donc été remplacées par des plaques bleues permanentes.

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© Carla Da Silva

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© L’Escouade

Ça aurait pu être elle* est une action qui a pris place dans le Parc des Bastions à l’occasion de la Grève des femmes*. En partant du constat que l’écrasante majorité des statues en ville représentent des hommes ; tout comme le projet 100Elles*, cette action vise à sensibiliser à l’invisibilisation des femmes dans l’espace public, et plus largement, dans l’Histoire. Le nom fait référence au fait que les femmes* aussi ont contribué à écrire l’Histoire mais qu’on les oublie.

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© L’Escouade

Pour Clitoris à la Craie, comme son nom l'indique, de grands clitoris colorés sont dessinés à la craie sur le sol. Le dessin a pour but d’ouvrir la discussion sur le plaisir féminin* et de visibiliser le clitoris qui est encore peu connu et très peu présent dans l’espace public en comparaison avec les représentations phalliques. L’action de dessiner encourage à la discussion et l'interaction avec les passant-e-s. À côté du dessin, L'Escouade écrit toujours son nom instagram, ainsi les passant-e-s peuvent photographier et poster le dessin. De cette façon, l'action et les échanges perdurent sur les réseaux sociaux.

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© L’Escouade

Qu'est-ce qu’on peut dire de ces modes d’action ?

La légalité comme outil

L'Escouade ne pratique pas d’activités illégales telles que des dommages à la propriété ou des actions insultantes. Notamment grâce à ce principe, l’association parvient à collaborer avec la Ville de Genève. Cette collaboration a été particulièrement importante pour le projet 100 Elles*. En effet, elle a permis d’apposer les plaques, aussi bien temporaires que permanentes. La Ville a pris en charge toutes les dépenses financières du projet, ainsi que le remplacement des plaques endommagées.

En plus de la collaboration avec les institutions, la légalité est également soulevée par l’une des membres comme un outil d’inclusivité puisque mener à bien des actions illégales pose aussi la question de qui a accès au militantisme, qui peut se permettre de commettre des actions illégales, de passer une nuit en garde à vue ou de payer des amendes par exemple.

Ainsi, en menant à bien des actions légales, L'Escouade parvient à opérer un changement permanent grâce au soutien de la ville de Genève. En contrepartie, des compromis doivent être trouvés et les discours de l’association ont dû être réadaptés notamment pour être moins “radicaux”.

L'espace public comme un espace de contraintes et d’actions

Toutes les actions se déroulent dans l'espace public. L’espace permet des actions autant qu’elle les contraint. En effet, ce sont les dispositions préexistantes de l’espace public - le fait que la majorité des noms de rues et des statues fassent référence à des hommes par exemple - qui mènent aux actions de l’Escouade mais aussi qui les contraignent. Les plaques de noms de rue et les statues rappellent, comme dans un livre d'Histoire, les personnes qui ont eu une fonction importante pour la ville. Dans ses actions, l'Escouade agit sur l'espace public à partir des éléments qui sont déjà présents et les modifient ou les complètent pour sensibiliser aux enjeux de représentation qui existent dans la ville. Ainsi, sans les nombreuses statues et noms de rues masculins, ces actions ne seraient pas possibles.

En outre, l'espace public est accessible à presque tout le monde. C'est-à-dire qu'une action dans un espace public est perçue par des personnes très différentes. Cet aspect est particulièrement important pour l'action Clitoris à la craie, car elle vise à attirer l'attention de tout le monde sur la question de la sexualité féminine* et étant dessinés dans des lieux très fréquentés, les clitoris ne sont pas seulement remarqués par les personnes qui sont déjà concernées par la question mais par toute personne qui passe par là. Les militantes de L'Escouade racontent par exemple que des familles commentent leurs dessins, et que des enfants posent des questions à leurs parents sur le sujet.

Des actions qui suscitent le débat 

Les actions de l’Escouade font réagir. D'une part, l’association reçoit beaucoup de commentaires positifs. De nombreuses personnes postent des photos des clitoris à la craie sur Instagram, l’association est invitée à dessiner des clitoris dans divers festivals, certaines plaques de rue ont été modifiées de façon permanente et les passant-e-s participent parfois aux dessins et discutent de la question avec les membres. Mais les réactions plus négatives sont également fréquentes. Les plaques de noms de rue sont régulièrement endommagées : plaques arrachées, tags et stickers sur les noms, etc. L’association reçoit également des messages de désaccord voire même insultants. Lors du premier dessin à la craie, les activistes ont notamment reçu une amende de la police, qui a par la suite été retirée. Ces réactions montrent que les actions sont remarquées et déclenchent le débat.

En guise de conclusion

À travers ses actions, l'Escouade agit sur l'espace public et le modifie. L'espace public fait partie de la société, c'est là que se déroule la vie publique, c'est également un espace de représentation de la mémoire collective par le biais de plaques et de statues. Il reflète aussi ce qui est discuté publiquement dans une société et ce qui tend à être tabou. L’Escouade tente de repousser cette frontière entre le tabou et le public et de visibiliser les femmes*. Ainsi, en modifiant l'espace public, elles tentent de modifier la société et ses représentations et de faire un pas vers l'égalité entre tous les genres.

 

Eva Krattiger et Salomé Alvarez


[1] L’astérisque est ici utilisé pour signifier une conception inclusive du mot femme. C’est-à-dire qui inclut aussi les personnes transgenres et non-binaires qui s’identifient partiellement ou complètement au genre féminin.