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La gestion du graffiti à la Rue Dénoyez

Trois questions à Julie Vaslin, politiste et sociologue à Sciences Po Lyon.
* Esthétique propre : la mise en administration des graffitis à Paris de 1977 à 2017. Lyon : Institut d’études politiques de Lyon, 2017.

Comment une rue longue, étroite, à deux pas de l’arrêt de métro Belleville dans le 20ème arrondissement de Paris, connue entre autres pour abriter des commerces illégaux, a-t-elle pu devenir un haut lieu du graffiti de la capitale ? Lors d’une interview accordée le 22 avril 2020 dans le cadre d’un terrain urbain sur la gestion de l’indésirabilité, Julie Vaslin revient sur l’histoire du graffiti dans la Rue Dénoyez et le rôle des politiques de la mairie dans ce renversement.


Un tournant notable s’opère en 2001 lorsque le socialiste Bertrand Delanoë est élu maire de Paris. Dès lors, celui-ci fera de la culture un marqueur du changement politique, notamment en relogeant un groupe d’artistes squatteur-se-s de la Rue Blanche dans le 9ème arrondissement à la rue Dénoyez dans des ateliers boutiques. Ce relogement qui peut paraître anodin ne l’est pas. Il témoigne de la volonté du nouveau maire d’appréhender la culture non-institutionnalisée différemment. Les nouveaux occupant-e-s de la rue Dénoyez produiront alors des œuvres artistiques de types variés sur le mur en face de leur atelier boutique. Ce phénomène de valorisation des artistes et de leur travail est observable dans bon nombre de grandes villes internationales comme le reflète encore Julie Vaslin dans un article cette fois : « Les espaces du graffiti dans les capitales touristiques : L’exemple de Paris et Berlin ». Dans le cas de la rue Dénoyez, la mairie optera pour une politique de laisser-faire pour diverses raisons. Premièrement, les graffitis sont renouvelés à un tel rythme qu’il est trop compliqué de les contenir efficacement. Deuxièmement, la mairie constate qu’en modifiant l’ambiance de cette rue, les graffitis éloignent les activités de commerces informels et participent à sa pacification. Ce changement d’attitude de la part de la mairie permettra finalement au graffiti de se propager plus largement sur le mur de la rue Dénoyez.

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La rue Dénoyez dans le quartier de Belleville (20e arrondissement de Paris, France) / Auteur : Myrabella /
Conditions d’utilisation : CC BY-SA 4.0 / Aucune modification  / Date de la photo : le 30 mars 2014

Comment peut-on qualifier la politique culturelle du 20e arrondissement de Paris vis à vis du graffiti à la Rue Dénoyez ?
De manière générale, lorsqu’il s’agit du graffiti, la politique culturelle de la mairie du 20e prend ses précautions. Elle passe par des institutions intermédiaires qui jouent le rôle de traducteur-ice-s de la pratique comme c'est le cas avec l’association Art Azoï par exemple qui expose, dans l’espace publique, les œuvres d’artistes urbains. Du fait que le graffiti possède une double facette, vandale versus artistique, il convient de le prendre avec précaution. Dans le cas de la rue Dénoyez, n’y a pas d’instances officielles qui pourraient faire le lien entre le monde du graffiti et le monde politique et c’est pourquoi dans cet espace, ce contexte, il est plus approprié de parler de politique informelle ou involontaire. À l’inverse, lorsque la mairie commande au travers d’un-e intermédiaire, de gérer un travail qui met en scène le graffiti, nous pouvons parler d’une politique culturelle volontariste.

Pour saisir cette ambigüité, il faut commencer à s’intéresser aux politiques de propreté. Ces dernières tendent vers un idéal homogène des rues de Paris d’où le graffiti et ses auteur-e-s sont exclu-e-s. Toutefois, il paraît évident que l’attraction suscitée par la rue Dénoyez pour les commerçant-e-s, les habitant-e-s qui choisissent de s’y installer ou encore l’intérêt qu’elle provoque pour la presse ou les photographes ne passent pas inaperçu. Dès lors, dans cet espace, le graffiti et ses adeptes vont passer progressivement d’un statut d’indésirables à tolérables pour les autorités. À la rue Dénoyez, alors qu’à l’époque les graffitis étaient effacés et leurs auteur-e-s verbalisé-e-s, aujourd’hui ils sont tolérés. C’est-à-dire que l’organisation chargée d’effacer les diverses pièces murales suspendaient ses activités dans un certain périmètre de la rue. Cet arrêt permet de rendre visible un usage artistique informel. C’est-à-dire qu’à demi-mot, dans une démarche de laisser-faire, les politiques culturelles apprivoisent la pratique en y accédant grâce aux politiques de propreté. Ainsi, à défaut de ne pas soutenir officiellement des pratiques illégales ou informelles, la mairie peut tolérer l’informalité en attendant d’intervenir différemment. Il leur faut un temps d’attente et ce temps c’est le temps de la rue Dénoyez.

Quel rôle a le mur du graffiti à la rue Dénoyez dans les usages courants de l’espace ?
Dans ce cas spécifique il faut d’abord s’intéresser à l’élection de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris en 2001 afin de comprendre la place qu’occupe le mur dans les usages quotidiens de la rue. Dès ce moment fût amorcé un programme de relogement temporaire d’artistes dans la rue Dénoyez. Petit à petit émergent des usages artistiques informels dans l’espace publique qui vont jouer le rôle d’activités socio-culturelles. Les conséquences de ces nouveaux usages sont positives puisque cette vie sociale favorise une pacification de la rue. Une aubaine pour la mairie qui trouve ainsi une façon provisoire d’occuper des espaces laissés à l’abandon et/ou détériorés. Cela permet d’une part de déplacer d’autres usages illicites comme le trafic de drogue et d’autre part ces activités artistiques ont pour effet de participer à l’image de marque du quartier. Malgré le fait qu’aujourd’hui la rue ait été le théâtre de nombreux réaménagements urbains au cours desquels les « boutiques ateliers » ont été démolies et les artistes déplacé-e-s, le mur est toujours considéré comme un « Hall of fame » pour les graffeur-se-s de Paris. Leurs créations s’avèrent être un levier sur lequel divers entrepreneur-e-s peuvent s’appuyer pour proposer une alternative touristique, en dehors de l’hypercentre de Paris, hors des sentiers battus. Ainsi, des changements dans les usages de l’espace se sont mêlées à ce processus d’aménagement urbain. Attention toutefois à ne pas sous-estimer les conflits de la vie quotidienne qui mêlent la pratique du graffiti dans cette rue. Par exemple, les plaintes formulées par la nouvelle crèche de la rue Dénoyez au sujet de la pollution de l’air due aux peintures aérosols.

Comment évaluez-vous le rôle de la mise en tourisme hors des sentiers battus à la Rue Dénoyez ?
Contrairement à d’autres projets, la mise en tourisme hors des sentiers battus de la rue Dénoyez n’émane pas d’une politique volontaire à proprement dite de la mairie. Notons que ce processus ne dépend pas uniquement des politiques puisque à partir de l’ambiance de la rue, dont le graffiti participe, se sont ajoutés des cafés, des restaurants et d’autres lieux du quotidien. D’ailleurs, grâce à ces lieux, il se peut que le tourisme soit pensé comme un vecteur de développement, non pas uniquement au niveau de la mairie d’arrondissement mais à l’échelle intercommunale voire internationale. Dans ce cas, cette mise en tourisme participe à la construction d’une image d’un quartier alternatif et branché qui en retour contribue elle aussi à la mise en tourisme. À la rue Dénoyez, l’attraction touristique qui se sert du graffiti ne se fait pas sous l’impulsion d’actions politiques formelles. Dans cette relation nous avons d’un côté une culture qui s’est développée dans le rejet des majorités et de l’autre des services politiques qui apprennent depuis peu à la connaître. C’est dans ce contexte la municipalité du 20e arrondissement apporte un soutien au graffiti dans la rue Dénoyez mais qu’à demi-mot.

Propos recueillis par A. Bühlmann, G. Danese et N. Garrote le 22 avril 2020