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Les «rives de Clausen»: revalorisation d'une friche industrielle brassicole

Des anciennes brasseries reconverties en lieu de vie et de divertissements, c’est le cas du quartier de Clausen à Luxembourg. Situé au cœur de la ville et porteur d’une histoire caractéristique du développement urbain luxembourgeois, ce quartier qui était destiné à devenir un «chancre» industriel s’est vu être le témoin d’une revalorisation particulière.

En 1999,après 400 ans de production, la brasserie historique des rives de Clausen accueille son dernier brassin.La société des «Brasseries Réunies de Luxembourg, Mousel et Clausen, s.a» s’associe à la brasserie de Diekirch.Toute la production est donc délocalisée et arrêtée sur le site de Clausen.Ce dernier se retrouve ainsi complètement laissé à l’abandon, créant une sorte de site fantôme au sein de la vieille ville de Luxembourg. On retrouve ce cas de figure dans plusieurs autres villes en mondialisation émergente connaissant une forte croissance démographique. Cela entraîne une difficulté à répondre à la demande de logement et induit généralement un étalement urbain. Afin de contrer ces problèmes, les autorités mettent en place des politiques urbaines visant à augmenter l’offre de logement, tel que la construction, le réaménagement, la réhabilitation des espaces déjà urbanisés, comme cela est le cas pour les rives de Clausen. Le propriétaire de l’ancienne brasserie, un acteur privé donc amenant un financement privé lui aussi,décide de tenter de revaloriser cette friche industrielle en créant un site de loisirs, de bureaux et de logements. Le projet est mis en concours en 2000 et finalisé en 2010.Ainsi, dans le cadre de notre travail urbain à Luxembourg-Ville, nous nous sommes intéressées au processus de réhabilitation de cette ancienne friche brassicole ainsi qu’aux effets de cette prétendue revalorisation sur le quartier de Clausen.Nous avons réalisé notre travail de terrain du 14 au 19 avril 2019, quand nous nous sommes rendues dans cette ville. Nous avons utilisé différentes méthodes issues des sciences sociales pour récolter des données sur le terrain;nous avons mené des entretiens avec différents acteur/trice.s phares dans ce projet de réhabilitation des rives de Clausen.Nous nous sommes posé la question suivante:dans quelle mesure le projet des rives de Clausen contribue à une redynamisation de ce quartier ?Les informations que nous avons ensuite obtenues nous ont plutôt réorienté vers la génèse du projet et comment les différents individus gravitant autour de cette réhabilitation ont construit, en lien avec leurs intérêts propres, ce qu’est Clausen aujourd’hui. Nous avons analysé les données à travers trois angles différents : Premièrement la dimension matérielle, en abordant la question de la revalorisation de ce qui a été laissé à l’abandon. Deuxièmement,la dimension sociale où l’on parlera des questions de «mixité» sociale ainsi que de mobilité et de densification. Finalement la dimension économique,où l’on discutera la redirection économique du site, du secteur secondaire au secteur tertiaire.

Dimension matérielle

Cette friche laissée à l’abandon et inutilisée se transformait en «chancre» au sein même de Luxembourg.Avant toute chose, il y a eu une phase de sélection pour savoir quels éléments du site brassicole devaient être conservés. Cette phase est réalisée en étroite collaboration avec les autorités de la ville qui, selon son plan d’aménagement général(PAG)et son plan d’aménagement particulier (PAP) impose la conservation de certains bâtiments. Ainsi, certains bâtiments ont été sauvegardés,d’autres ont été démolit et d’autres édifices ont vu le jour à leur emplacement. Comme nous pouvons voir sur la photo ci-dessous, au premier plan se trouvent les bâtiments qui abritaient la production et qui n’ont pas été démolit lors de la reconstruction, et au deuxième plan,les nouveaux bâtiments où les grandes entreprises internationales Amazon et Microsoft se sont installées.

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Figure 1: photo des rives de Clausen. Au premier plan, les bâtiments conservés, au deuxième plan les nouveaux bâtiments
©Auteures de la recherche

 

De plus, les promoteurs immobiliers du site voulaient mettre en valeur des éléments du passé brassicole pour en garder une trace.Certains éléments de production ont donc été conservés et font alors partie intégrante de la décoration des restaurants,comme nous pouvons le remarquer sur les photos ci-dessous.

La cheminée, emblème des sites brassicole a retrouvé, quant à elle, son utilisation première après plusieurs années d’inexploitation. En effet, elle est de nouveau utilisée et produit à nouveau de la fumée, grâce à la centrale de cogénération, installée sur le site.

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Figure 2: bâtiments neufs, la couleur utilisée fait écho à celle des bâtiments conservés
©Auteures de la recherche

 

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Figure 3: Intérieur du restaurant Brauerei, avec des traces du passé brassicol
©Auteures de la recherche

 

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Figure 4: Cheminée du site, toujours en activité
©Auteures de la recherche

 

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Figure 5: Intérieur du restaurant Le Sud aménagé dans les anciens sillos
©Auteures de la recherche

 

Dimension sociale

Notre analyse de la dimension sociale a fait ressortir plusieurs éléments tels que la remise en question de cette «mixité»sociale souhaité par les auteurs du projet, la densification ainsi que la question de la mobilité.La mixité sociale relève du fait que les restaurants ont chacun leur propre thème et leur propre standing, ce qui attire une population relativement diversifiée.Une dimension temporelle vient s’ajouter à cette mixité sociale. Effectivement, il y a une forte rotation de personnes sur ce site en fonction des horaires de fréquentation. Les employés des bureaux ont quitté les lieux lorsque les personnes qui viennent faire la fête,arrivent sur les lieux. C’est aussi le cas entre les personnes qui vont manger dans le restaurant gastronomique des rives et les jeunes qui profitent du site d’une autre façon.Ainsi, il y a différentes personnes qui fréquentent les rives, mais elles ne se côtoient pas car elles n’ont pas les mêmes habitudes de consommation; elles ne se rendent pas dans les mêmes établissements et ne profitent pas du site aux mêmes horaires. D’autres part, les promoteurs des rives de Clausen ont mis en place un système de navettes gratuites qui permet aux gens qui fréquentent les lieux, d’avoir un accès facile au site depuis la ville ainsi que pour rentrer chez eux.Un autre point à soulever est, bien que les habitants du quartier ont approuvés le projet de réhabilitation au départ, celui-ci a également apporté certaines plaintes suite à l’ouverture, notamment à cause des nuisances sonores.Finalement, auparavant cul-de-sac, le désenclavement du site en fait un lieu de passage. Ce changement de statut d’un site de production privé à un quartier disposant d’un espace récréatif public ainsi qu’un lieu de vie diversifie l’offre du lieu et lui donne une place nouvelle dans le paysage urbain.

Dimension économique

En se constituant de nouvelles fonctionnalités et visant un autre type d’économie, les «rives de Clausen»suit le mouvement qui a commencé déjà dans les années 70 avec l’abandon des activités industrielles des centres de diverses villes européennes. C'est par une réattribution de nouvelle fonctionnalités économiques généralement liées au secteur tertiaire, à la finance et au commerce que ces zones industrielles désaffectées trouvent un nouvel élan.La question d’une réaffectation s’est posée ici par rapport à la fonctionnalité du lieu. En effet, pour redonner vie à ce chancre, il était nécessaire de trouver une nouvelle direction économique pour Clausen. La ville de Luxembourg,ainsi que les initiateurs du projet prévoyaient une réaffectation proposant une offre relativement large par rapport au résultat final. Par manque de propositions d’offre, ils ont dû laisser la place à des entreprises internationales. Cela a eu comme conséquence d’attirer un certain type de population qui ne vit pas forcément sur place et qui partira avec le départ de la société. Une autre chose importante à relever est l’imbrication entre le privé et le public. Le propriétaire des brasseries et du quartier étant un acteur privé, celui-ci a dû se contraindre à certaines réglementations lié à la rénovation tel que la conservation des façades des bâtiments auparavant destinés à la production. Le fait que cette réhabilitation soit un projet à financement privé a représenté un avantage pour la ville de Luxembourg qui n’a pas eu à assumer les coûts d’une réhabilitation coûteuse d’un quartier situé dans le centre historique de la ville. En contrepartie, celle-ci n’a pas eu une grande marge de manœuvre quant aux négociations sur la menée du projet.Ainsi, nous pouvons relever un intérêt convergent entre la ville et le promoteur immobilier, entre le privé et le public. Finalement, nous avons pu observer un processus de délocalisation des activités industrielles de la ville, partant du centre pour aller dans la périphérie. Une autre entreprise vit en ce moment ce même processus de déconstruction et de délocalisation. Nous pouvons observer ainsi un phénomène de changement de secteur économique du quartier de Clausen, passant du secteur industriel à une économie tertiaire, de services.

En guise de conclusion

A la suite de la réhabilitation et réaffectation, les rives de Clausen, le quartier abritant cet ancien site brassicole tombé à l’abandon a vu sa dynamique changer tant matériellement, qu’économiquement et socialement. Sur le plan matériel, cet endroit est passé d’un patrimoine industriel à l’abandon, ou chancre urbain, à un site public proposant des divertissements diurnes et nocturnes.Nos données ne nous ont pas permises d’établir si le site était bel et bien devenu «the place to be» en termes de sorties nocturnes, comme cela était affirmé par le promoteur du site,mais nous avons quand même pu observer une redynamisation par rapport à son état ancien laissé à l’abandon.Il est donc passé d’un état dit de déchetà un objet chargé de sens.Le promoteur immobilier s’est donné comme objectif de redynamiser la vie du quartier en voulant élargir l’offre de divertissements mais nous ne pouvons pas établir, sur la base de nos résultats, une réelle plus-value dans le quartier de Clausen. Sur le plan social, force est de constater que même si la population est en effet de classes socio-économiques différentes, elle ne fréquente pas les lieux en même temps. D’autre part, il faut également constater que cette nouvelle offre de divertissements nocturnes vient perturber la tranquillité nocturne des résident.e.s du quartier.La réhabilitation des rives de Clausen a donc profondément changé le quartier de Clausen sur le plan spatial, économique et social. Sur la base de nos résultats nous ne pouvons donc pas établir de réelles modifications en termes de fréquentation du lieu. Néanmoins, l’exemple des rives de Clausen représente un projet intéressant en termes de collaboration entre le secteur privé et le secteur public, dans l’objectif de redynamiser un lieu anciennement intéressant économiquement. Cela pourrait apporter certaines solutions aux défis posés par la nouvelle émergence de la ville par le fait d’une nouvelle attractivité. Ces défis étant l’étalement urbain et la crise du logement. Le quartier a également permis un possible désengorgement du centre-ville. Reste à voir si cette transformation se pérennise. Un de ces défis est par exemple le statut de Luxembourg en tant que ville dortoir, ou il est difficile d'inciter les populations à habiter la ville en dehors des heures de bureau.

Anne-Laure Perritaz, Danielle Tchakounté, Morgane Thurre et Lydiane Vikol