Fermer
_flsh_histoire_art_museologie_choix.jpg

Le trésor d'église au Moyen-Age

Le trésor d'église au Moyen-Age

I. Histoire et fonction du trésor d'église médiéval
Le XIXe siècle s'est beaucoup intéressé au phénomène de la collection et aux collectionneurs, mais a quelque peu négligé le Moyen Age. Depuis les contributions de David Murray et Julius von Schlosser, parues à peu d'années l'une de l'autre au début du siècle passé, qui signalaient pourtant un progrès intéressant dans l'étude des collections médiévales, la problématique n'a été abordée que de façon très ponctuelle toutefois. Je souhaite reprendre le problème, poursuivre et enrichir les réflexions de ces deux auteurs par une étude approfondie des sources, notamment celles du haut Moyen Age, peu exploitées, et proposer une synthèse du sujet en m'attachant plus particulièrement au trésor d'église.
Le trésor d'église
Le trésor d'église est plus que "la réunion de choses précieuses amassées pour être conservées", car la plupart des objets qui le compose conservent leur fonction première. Le trésor regroupe en effet les ornamenta, c'est-à-dire l'ensemble des objets destinés à l'ornementation de l'édifice, et les apparata, c'est-à-dire l'entier du mobilier nécesaire au bon déroulement des cérémonies liturgiques ; il peut aussi servir de lieu de dépôt des regalia. On y trouve donc rassemblés des éléments très variés, tels que antependia, autels portatifs, vases sacrés, reliquaires aux formes et aux tailles diverses, ornements sacerdotaux, vêtements liturgiques, objets de dévotion, chandeliers, couronnes, croix processionnelles, d'ivoire. A ces oeuvres s'ajoutent des objets profanes, dont la fonction peut être ou non détournée à des fins religieuses et des objets de curiosité.
D. Murray et J. von Schlosser s'acordaient en effet à reconnaître, non seulement dans les demeures royales du Moyen Age mais aussi dans le trésor des églises, les premières traces de la collection d'art et de merveilles, puisqu'on y trouvait rassemblées les oeuvres de la nature et celles de l'art. L'église, lieu où le miracle est quotidien, conserve en effet les mirabilia pour les "mettre en scène" et attirer ainsi les fidèles en son sein. Le phénomène est avéré au XIIIe siècle, comme en témoigne Durand de Mende à propos de l'oeuf d'autruche : "Dans certaines églises, on a coutume de suspendre deux oeufs d'autruche, et autres choses de ce genre, qui excitent l'admiration et que l'on voit rarement, afin que par-là le peuple soit attiré à l'église et touché d'avantage" (Rationale divinorum officiorum I, 3, 18). L'église conserve le rare, la merveille ou le monstrueux, et l'on retrouve côte à côte crocodiles embaumés, pierres de feu, météorites, cornes d'antilope ou de licorne, griffes de griffon, dents et ossements gigantesques, etc. La plupart de ces mirabilia sont placés en position haute dans l'église, exposés bien en vue comme ils le seront plus tard dans les musées encyclopédiques, ou prennent place dans les armoires du trésor, ouvrant peut-être la voie à la Wunderkammer de la Renaissance.
Formation et fonction du trésor ecclésiastique
La problématique engage la recherche sur la question de la fonction tant des objets rassemblés que de la collection ainsi formée. Car, si l'on dote certains objets d'une efficacité singulière, il est nécessaire de bien articuler sacré et profane et de définir les catégories de la merveille, du monstrueux, du miraculeurs, de la curiosité peut-être, pour pouvoir les appliquer ensuite au Moyen Age. La thésaurisation des biens, plus particulièrement des objets rares et précieux, la volonté de rassembler les unica constituent le premier réflexe collectionneur. Par suite, le pouvoir symbolique dont ces objets sont chargés détermine leur sort de "bien muséable" et conditionne en retour leur visibilité. Le trésor d'église, au sein duquel s'accumulent cimelia, curiosa et pretiosa, attire les foules de pèlerins, de curieux, de voleurs aussi. La rareté et le caractère précieux transforment la relique comme la merveille ou l'oeuvre manufacturée en objet de prix que l'on peut offrir, échanger, perdre, dérober. Certes, le trésor médiéval n'est pas à proprement parler une collection. Mais, pour reprendre Krzysztof Pomian, tant qu'il est produit par les institutions, il peut néanmoins être défini comme une collection, à condition toutefois que l'on imagine une collection sans collectionneurs.
Ce qui permet la constitution d'un trésor, c'est la fluctuation économique et religieuse d'un centre spirituel : les richesses accumulées sont en effet liées à la prospérité et à la réputation du centre, le succès d'un pèlerinage favorisant le prestige et l'opulence du lieu. Si le mécénat impérial, princier ou ecclésiastique joue un rôle de premier plan dans la formation du trésor ecclésiastique, il ne faut pas pour autant négliser les dotations privées. Toutes les offrandes ainsi faites à l'église, au tombeau du saint, à l'autel, au clergé ou aux moines qui desservent cette église, entrent dans le patrimoine. Le don constitue à la fois un hommage des fidèles à Dieu à travers ses saints, et le capital du temple. Ce qui forme le trésor d'église est le rassemblement d'objets précieux qui continuent (ou non) de jouer un rôle dans la pratique religieuse. Mais au-delà des récipients, le véritable trésor de l'église reste les reliques des corps saints. Et l'on peut montrer que, jusqu'aux alentours de 1200 environ, le trésor ou la collection s'organisent autour d'un saint patron, à travers ses reliques.
Ainsi défini, le trésor médiéval remplir trois fonctions : il est l'expression visible du pouvoir de l'autorité, laïque ou spirituelle, qui le rassemble ; il est une réserve monétaire ; il est le lieu de conservation des objets de culte. Sur le plan symbolique, il entre dans une série d'échanges qui lui donne en quelque sorte sa raison d'être. Tout dimension sacrée mise à part, le trésor d'église au Moyen Age n'est qu'une immobilisation de capitaux sous forme d'objets d'art ; constamment sous la menage de la fonte, il devient le terme d'une valeur et d'une possession, qui peut susciter émerveillement ou admiration. Mais je constate aussi que le trésort se tiens au point de contact du visible et de l'invisible, de la vie quotidienne et de l'au-delà. S'assurer un trésor dans le ciel (Lc 12, 22 ; Mt 6, 30) et passer ainsi sans heurt dans l'au-delà est en effet l'un des souhaits de l'homme médiéval. Pour constituer ce trésor céleste, il importe avant tout de le former ici-bas par une série de donations portées à l'autel, car c'est par elles que le pèlerin prépare le salut éternel de son âme. Mais avant d'aboutir dans le patrimoine ecclésial, ces dons passent par les médiateurs de sacré que sont les prêtres et subissent, à l'image des espèces eucharistiques, une conversion qui augment leur valeur. Les recherches menées jusqu'alors me permettent de montrer que l'une des fonctions premières du trésor ecclésiastique est précisément d'assurer l'existence d'une bonne communication entre l'ici-bas et l'au-delà, entre l'église matérielle et la Jérusalem céleste.

Publications et liens

  • Pierre Alain Mariaux, "Curiositas et curiosités naturelles au Moyen Age. Quelques remarques sur les naturalia au service de la liturgie", in Art + Architecture en Suisse, LVI, 1 (2005), 6-11.
  • Pierre Alain Mariaux, "Trésor et collection. Le sort des "curiosités naturelles" dans les trésors d'église au Moyen Age », in Le trésor au Moyen Age. Questions et perspectives de recherche, Neuchâtel : Insitut d'Histoire de l'art et de Muséologie, 2005, 27-56.
  • Pierre Alain Mariaux, "Der Schatz als Ort der Erinnerung - Vorbemerkungen über die Neuordunung der Kirchenschätze im 12. Jahrhundert", in Thomas Kühtreiber (éd.), Vom Ungang mit Schätzen, Vienne, 2006.
  • Pierre Alain Mariaux, "Collecting (and Display)", in Conrad Rudolph (éd.), A Companion to Medieval Art. Romanesque and Gothic in Northern Europe, Oxford, New York, 2006.
  • Pierre Alain Mariaux, "Objet de trésor et mémoire projective : le vase "de saint Martin", onques faict par mains d'omme terrien", in Le Moyen Age. Revue d'Histoire et de Philologie, Liège, 2006.
  • Pierre Alain Mariaux, "Le goût des femmes et la formation des collections au XVe siècle », in Andreas Bräm et Pierre Alain Mariaux (éds.), "A ses bons commandements ...." La commande artistique en France au XVe siècle. Artistes et mécènes, de Charles VI à Louis XII, Genève, 2006.