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7ème Atelier Radiophonique Romand (ARARO)

Le 7e Atelier radiophonique romand (ARARO) portait cette année sur le thème de la musique. Cet événement est organisé annuellement par l’Union des Radios Régionales Romandes (RRR), la Radio Télévision Suisse (RTS) ainsi que l’Académie du Journalisme et des Médias de l’Université de Neuchâtel (AJM). L’objectif est de permettre aux professionnels de la radio, aux chercheurs et aux étudiants et au public de débattre sur ce média.

La matinée a débuté par un mot de bienvenue de la directrice de l’AJM, Annik Dubied. L’animation de l’ARARO était assurée par le co-rédacteur en chef de BNJ FM et enseignant en journalisme Cédric Adrover. Pour la première fois, un suivi de l’événement était assuré sur les réseaux sociaux grâce au hashtag #araro2016.

Parmi les intervenants cette année :

•      Laurent Frisch, directeur du numérique chez Radio France

•      Jean-Samuel Beuscart, sociologue chez Orange Labs, spécialisé dans la consommation de la musique

•      Virginie Berger, spécialiste en numérique et marketing

•      Emeric Berco, animateur chez Skyrock

 
Laurent Frisch « La radio à l’ère du numérique »

La matinée débute avec Laurent Frisch, le directeur du numérique chez Radio France. Il dépeint la situation dans laquelle évolue actuellement le média radio : bien que l’audience demeure plus ou moins stable, de nouvelles menaces, liées au monde du numérique, sont bien visibles. « Il nous faut sauver le métier ainsi que le produit éditorial », souligne-t-il.

La radio fait en effet face au vieillissement de ses auditeurs, mais aussi à ce que Laurent Frisch appelle « la concurrence des usages » : l’auditeur consacre beaucoup plus de temps à surfer sur Internet, et donc potentiellement moins à écouter la radio. Les supports numériques du type smartphone seront les postes de demain, prédit-il.

Laurent Frisch souligne également le pouvoir exponentiel des géants Apple et Google, leur mainmise sur le monde du numérique compliquant parfois l’arrivée des radios sur le web et accentuant la désintermédiation des médias.

L’enjeu pour les radios contemporaines serait donc de parvenir à se réinventer en « prenant en compte les usages et non seulement les goûts » de leur public, conclut-il.

Jean-Samuel Beuscart « Découverte et écoute musicale en streaming: concurrence ou complémentarité avec la radio ? »


Ce sociologue d’internet, spécialiste dans la consommation de la musique, s’est demandé comment le streaming et la radio vont pouvoir cohabiter ? Il note que certains taux d’audience radio s’érodent, notamment chez les jeunes. De nouvelles plateformes à disposition proposent des usages très instinctifs de la musique. Selon lui, il existe deux figures de l’utilisateur, celui qui vient chercher lui-même du contenu (logique de la demande) et celui qui souhaite écouter de la musique en se laissant porter par un flux musical (logique de l’offre).

Ce qu’on peut retirer des enquêtes existantes :

  • Selon Jean-Samuel Beuscart, environ 50% des internautes utilisent des plateformes légales (Enquêtes Ipsos et Hadopi).
  • Les chiffres montrent également que 68% des consommateurs de musique digitale utilisent le streaming. Ces données permettent aux chercheurs de penser que la musique en streaming touche 35% des Français et 54% des jeunes Français (chiffres GfK).
  • Les leaders actuels sur le marché : YouTube, Deezer et Spotify.
  • En 2015 pour la première fois, les revenus du streaming sont passés devant ceux des sources traditionnelles
  • Pour Jean-Samuel Beuscart, les recherches existantes ne sont pas toujours concordantes, il tient à signaler que ces données sont donc à prendre avec précaution.


Le sociologue présente ensuite une recherche doctorale de son laboratoire sur un panel de 4’000 utilisateurs actifs inscrits en France sur Deezer, qui ont été suivis quotidiennement pendant 5 mois en 2014. Parmi les résultats de l’étude, l’auteur explique que le streaming est utilisé durant toute la journée pour accompagner le travail et que les utilisateurs écoutent en moyenne 187 titres par semaine, ce qui représente environ 27 titres quotidiens[I1] [RA2] .

Jean-Samuel Beuscart conclut en expliquant qu’il existe pour l’heure une très forte complémentarité entre le streaming et la radio. Les découvertes musicales se feraient encore via la radio, notamment parce que les recommandations via les réseaux sociaux s’avèrent aujourd’hui peu concluantes.

Manuel Kollbruner « Résultats DAB+ : Les résultats semestriels de la 2e étude d’audience »

Manuel Kollbrunner, analyste à la direction générale de la RTS, révèle les résultats de la dernière étude sur l’utilisation de la radio numérique en Suisse (réalisée par DIGIMIG à l’automne 2015). Ceux-ci indiquent que le numérique est en pleine progression. En effet, bien que l’utilisation du DAB+ stagne, l’écoute de la radio sur Internet se généralise au détriment de l’écoute analogique traditionnelle. En Suisse, sur 100 minutes écoutées, 51 l’ont été en analogique, 23 en digital, 26 sur Internet. Ces nouvelles pratiques touchent toutes les générations confondues, bien qu’elles soient plus marquées chez les jeunes.

Une troisième étude, financée par la nouvelle loi radio/TV, sera publiée au mois d’août 2017.


Virginie Berger « L’animateur radio tombé dans le bain numérique »

Virginie Berger présente pour commencer son parcours dans le monde des médias et du marketing. Elle dirige à présent une agence nommée DBTH, spécialisée en stratégie et business développement pour les industries créatives en France, qu’elle a elle-même fondée.

L’ancienne directrice du marketing chez MySpace se penche sur le contexte d’internet dans l’animation radio. Pour elle, la radio est sociale. Les auditeurs étant désormais présents sur les réseaux sociaux, certaines radios ont donc elles aussi investi la toile pour pouvoir interagir avec eux. Cela permet aussi un meilleur accès aux animateurs qui se font interpeller, peuvent réagir, lancer des challenges, et répondre.

Comme Laurent Frisch, elle note que le smartphone devient le premier support d’écoute, chez les jeunes surtout. « Internet est en train de changer la radio » affirme-t-elle. « Il faut considérer les auditeurs comme une communauté ». Pour ce faire, certaines radios utilisent des applications comme SnapChat qui est d’ailleurs en pleine croissance dans le monde des médias.

Ce qu’apportent les réseaux sociaux aux auditeurs ? Une identité collective, plus de proximité avec l’animateur. L’auditeur aujourd’hui a envie d’interagir, d’être entendu. Il y a un véritable enrichissement entre l’animateur et l’auditeur. Les réseaux sociaux permettent aussi une contextualisation du contenu, un enrichissement du flux audio par du contenu qui s’y rapporte (interviews complémentaires, vidéos, hashtags).

Comment échanger ? Tweeter des photos (+52% d’engagement), challenger les fans, surprendre et dialoguer avec les auditeurs grâce à une segmentation des émissions avec des cibles précises.

Emeric Berco « L’animateur radio et sa compatibilité avec les médias sociaux »


L’animateur chez Skyrock Emeric Berco décrit la manière dont cette radio a abordé le virage du numérique : en créant une application ad hoc disponible sur Iphone et Android, téléchargée plus de 5 millions de fois (http://www.skyrock.com/mobile/) et des émissions musicales visant l’interaction avec ses auditeurs. Selon lui, le propre des années 2000 est que toute radio doit non seulement se soucier de sa voix mais aussi de son image, et ce notamment sur les réseaux sociaux.  « Il faut retrouver les fans, attirer leur attention, aller les chercher un par un », explique-t-il. La radio du futur doit compter sur « une équipe connectée, qui intègrera l’auditeur, relayera ses tweets. Il faut proposer une radio vivante ».

Un contenu inédit sans cesse renouvelé, une proximité avec l’auditeur voire des contenus personnalisés : autant de clés qui permettraient à la radio de faire face aux nouveaux défis du numérique.


Débat

Au cours du débat concluant la conférence, plusieurs interrogations ont été soulevées par le public: quelle censure dans les interactions avec les internautes ? Le personnel est-il menacé par la numérisation croissante de ces activités ? Ces nouveaux moyens d’interagir augmenteront-ils l’engagement des auditeurs, par exemple dans la participation aux jeux ? La génération des plus de 50 ans se verra-t-elle délaissée par les « mass médias » ?

Beaucoup de questions qui restent en suspens, malgré les pistes de réponses offertes par les intervenants. Le message est clair: l'avenir de la musique et de la radio à l'ère du numérique n'est de loin pas tracé, et dépendra de la capacité de ses acteurs à se réinventer.

Virginie Nussbaum & Amélie Rossé

Photos: Damien Carnal