Communiqué

« Je n’ai rien vu à Tchernobyl »

31 mai 2011

Alors que la catastrophe de Fukushima remet en lumière les dangers de l’énergie nucléaire, Tchernobyl, 25 ans après l’accident, reste la référence principale dont les médias, les citoyens et les analystes disposent pour aborder la représentation d’un désastre nucléaire. Le dernier numéro de la revue Ethnoscope, publiée par l’Institut d’ethnologie de l’Université de Neuchâtel, livre les résultats d’une enquête menée en Ukraine sur le traitement de la mémoire de Tchernobyl.

Le Musée Tchernobyl a vu le jour à Kiev au moment même de l’indépendance ukrainienne en 1991. La « zone interdite » autour de la centrale nucléaire attire aujourd’hui quelque 5000 visiteurs par an. Un site internet perpétue la mémoire de Pripyat, ville entièrement évacuée le 27 avril 1986.

Pour son travail de mémoire à l’Institut d’ethnologie de l’Université de Neuchâtel, Maude Reitz a exploré ces trois lieux dédiés à la catastrophe en Ukraine. Le numéro 12 de la revue Ethnoscope présente une version adaptée de cette étude scientifique. L’auteure, qui a passé six mois sur place en 2008, tente de saisir l’empreinte laissée par la catastrophe dans l’esprit des Ukrainiens au travers de ces trois lieux qui lui servent de guides.

« J’ai été frappée par les différentes façons dont la catastrophe est recyclée », remarque l’ancienne étudiante en ethnologie. Ainsi, le Musée Tchernobyl met en exergue les rapports de domination exercés par l’URSS, constructeur de la centrale, sur l’Ukraine, victime de l’accident. Pour Maude Reitz, « l’histoire joue un rôle important dans la perception d’une catastrophe. Les Ukrainiens ont inscrit l’accident de Tchernobyl dans la suite des innombrables conflits qui les ont opposés à la Russie. Le Japon, avec son passé lourd de cataclysmes naturels et ses deux bombes nucléaires, aura une toute autre grille de lecture pour Fukushima. »

La zone interdite devient quant à elle une destination de voyage de plus en plus prisée. De nombreux Russes, des Européens et autres Occidentaux s’y rendent (contre très peu d’Ukrainiens). Des agences de voyages en font même leur spécialité. La visite a quelque chose d’extrême. Certes, la nature a repris ses droits. La végétation recouvre petit à petit les ruines d’une civilisation désertée où les animaux viennent se réfugier. Le paysage fascine à tel point qu’on parle d’en faire une réserve naturelle. Mais le danger est là, tapi et invisible au cœur de toute cette beauté. Pour pénétrer dans la zone, les visiteurs doivent signer une décharge aux militaires qui gardent l’endroit et les guides déterminent le parcours de la promenade à l’aide d’un détecteur de radioactivité.

Evacués de Pripyat alors qu’ils avaient une quinzaine d’année, des internautes ont créé un site web afin de renouer les contacts entre les quelque cinquante mille habitants que comptait cette ville construite en même temps que la centrale. « Ces gens sont partis avec quelques effets personnels seulement, pensant qu’ils pourraient retourner rapidement dans leurs maisons, explique Maude Reitz. Ils ne sont en fait jamais revenus chez eux et se trouvent aujourd’hui éparpillés à travers toute l’Ukraine et l’ex-URSS. » Le site ne sert pas qu’aux retrouvailles, il perpétue surtout la mémoire de Pripyat et milite notamment pour la protection du site (contre le pillage de divers matériaux et les dégâts générés par le tourisme).

S’il se fait l’écho de quelques questions environnementales, ce site n’est pas à proprement parler anti-nucléaire. Maude Reitz n’a d’ailleurs pas senti de mobilisation particulière contre l’atome à Kiev. « En tout cas, ce n’est pas le plus flagrant, estime-t-elle. Les gens ont d’autres soucis et ils ne parlent pas volontiers de la catastrophe. J’ai rencontré une fois un jeune couple qui m’a dit avoir peur de faire des enfants. C’est un sujet à la fois hors des préoccupations des gens et une anxiété latente. Des choses sortent sous forme de plaisanterie, mais c’est assez étrange. Les politiques évoquent par exemple très rarement Tchernobyl. J’étais là-bas un 26 avril, je m’attendais à voir des commémorations, mais rien ! C’était microscopique. A peine quelques bougies déposées çà et là. »

D’où le titre donné à ce numéro d’Ethnoscope « Je n’ai rien vu à Tchernobyl ». Une réplique, tirée d’ « Hiroshima, mon amour », de Marguerite Duras, qui traduit la difficulté à représenter un événement invisible, inodore, insipide et aux effets continus et durables. Mais qui nous a pourtant profondément marqués ! « J’ai été frappée par le vocabulaire utilisé dans les médias pour commenter l’accident de Fukushima, analyse Maude Reitz. Les termes de liquidateurs ou de sarcophage intimement liés à Tchernobyl ont immédiatement refait surface. Un langage est né avec Tchernobyl et c’est pour l’instant le seul que nous connaissons pour parler de catastrophe nucléaire. »

Le communiqué au format pdf

Contact

Maude Reitz
Tél. 032 724 09 30
maude.reitz@gmail.com

 

En savoir plus :

« Je n’ai rien vu à Tchernobyl », revue Ethnoscope numéro 12, publié par l’Institut d’ethnologie de l’Université de Neuchâtel, commande au numéro de tél. 032 718 17 10 ou par courriel patricia.demailly@unine.ch
www.unine.ch/ethno