Communiqué

Chimpanzés : partager la nourriture crée l'attachement

15 janvier 2014

La concentration d’ocytocine, une hormone connue pour renforcer les liens sociaux, augmente chez les chimpanzés qui partagent de la nourriture. Telle est la principale conclusion d’une étude entreprise par Klaus Zuberbühler, professeur à la Faculté des sciences de l’Université de Neuchâtel, entouré de collègues britanniques et allemands. Publiée aujourd’hui  dans la prestigieuse revue Proceedings of the Royal Society B, elle révèle que les repas pris en commun créent des sentiments d’attachement indéfectibles entre les individus, qu’ils appartiennent ou non à une même famille.

Le rôle de l’ocytocine dans les relations humaines est connu depuis longtemps : cette hormone renforce les interactions sociales amoureuses, l'altruisme, l'empathie, l'attachement, voire le sens du sacrifice pour autrui. Physiologiquement, l’ocytocine agit sur le cerveau en réduisant l’anxiété et la peur, tout en renfor-çant la mémoire des liens sociaux et les circuits de récompense neuronaux.

Mais qu’en est-il de son rôle chez les autres primates ? Pour en savoir plus, Klaus Zuberbühler et ses col-lègues ont mesuré la concentration d’ocytocine dans les urines de chimpanzés de la communauté Sonso en Ouganda. Ils ont alors relevé une nette augmentation de cette hormone chez des individus ayant parta-gé un repas, indépendamment de l’âge des sujets ou de leur monopolisation de la nourriture. « On entend par partage de repas le fait de donner activement de la nourriture  à un congénère ou de laisser celui-ci prendre possession d’un aliment sans déclencher de réaction agressive », précise Klaus Zuberbühler.

Il y a un an, le primatologue suisse et ses collègues avaient déjà noté une augmentation d’ocytocine suite à des séances d’épouillage, une pratique connue pour son importance dans la création de liens sociaux. Or, après un partage de nourriture, la concentration d’ocytocine est encore plus marquée que durant les séances d’épouillage.

Vive les repas en famille !

Depuis quelques années, les chercheurs savaient que l’ocytocine jouait un rôle durant l’allaitement, contri-buant à renforcer les liens sociaux entre parents et enfants. L’influence de l’hormone s’étend désormais au partage de nourriture en général et entre des individus pas forcément apparentés,  même si les chimpan-zés privilégient les repas de famille. En effet, seul un quart des agapes avait lieu entre des congénères mâles non-apparentés.

« Les moments partages de nourriture restent cependant rares, nuance Klaus Zuberbühler. Nous en avons répertorié 42 en une année. La viande (46% des cas) arrive en tête des aliments partagés, suivie par les fruits (30%), les cœurs de troncs pourris (18%) et le miel (6%).» Dans ces moments de partage, il y a un donneur et un receveur. Il est dès lors intéressant de noter que dans deux tiers des cas, le donneur est dominant par rapport au receveur. Ainsi, les individus occupant un rang social élevé vont plus souvent donner que recevoir. L’augmentation d’ocytocine en demeure le principal moteur, estiment les chercheurs dans la présente étude. Et non pas le fait de céder à des demandes insistantes de la part des receveurs, comme cela était souvent supposé jusqu’à présent.
Reste que les chimpanzés ne sont pas à l’abri de motivations plus … coquines. Il n’est pas exclu que quelque pitance soit parfois offerte en échange de faveurs sexuelles. Mais ceci concernerait moins de 10% des cas. La morale est sauve!

Le communiqué au format pdf

Contact :

Prof. Klaus Zuberbühler
Directeur du Laboratoire de cognition comparée
Tél. : +41 32 718 31 05
klaus.zuberbuehler@unine.ch

En savoir plus :

Référence scientifique:
Wittig RM, Crockford C, Deschner T, Langergraber KE, Ziegler TE, Zuberbühler K. 2014 Food sharing is linked to urinary oxytocin levels and bonding in related and unrelated wild chimpanzees. Proc. R. Soc.B 281: 20133096.
http://dx.doi.org/10.1098/rspb.2013.3096