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Blaise Dupuis

Thèse soutenue

 

Sous la direction du Professeur Ola Soderström

La nouvelle ville traditionnelle. Géographies d’un modèle urbain mobile

 

Mention : summa cum laude

 

Résumé

Cette thèse s’intéresse à la mondialisation de l’urbanisme et, plus particulièrement, au façonnement transnational des modèles urbains. Reliant les villes autour d’une excellence qui est du moins source d’inspiration, sinon d’imitation, les modèles urbains véhiculent un idéal spatial visant universellement à la transformation de la société. L’ambition de cette recherche est de comprendre le régime circulatoire de tels modèles à travers leurs logiques d’émergence (les laboratoires où ils sont testés), d’extension (les réseaux où ils circulent) et d’adoption (les sites où ils se matérialisent) dans le but de saisir comment des flux d’idées et des formes urbaines concourent à redéfinir la conception et la planification des villes contemporaines.

 

Au centre de cette analyse se trouve un mouvement de réforme urbaine ayant pour ambition de bâtir mondialement des nouvelles villes traditionnelles. L’idéal de la ville européenne préindustrielle sert de modèle aux membres de ce mouvement. La cause qu’ils défendent ne s’arrête pas à promouvoir des quartiers « authentiques », denses et diversifiés ; elle se poursuit avec l’application des enseignements de l’architecture classique et vernaculaire. Depuis les années 1980, ce modèle dit néo-traditionnel a connu de nombreuses adaptations dans le cadre de près de 500 développements urbains, tout en circulant entre les institutions dirigées par le Prince de Galles et le Congrès américain pour le Nouvel Urbanisme ainsi qu’à travers des réseaux supranationaux réunissant plus de 5'000 personnes.

 

La compréhension de ce régime circulatoire s’inscrit dans le récent champ de recherche sur les nouvelles formes de mobilité, portant sur les politiques publiques et les formes urbaines façonnées par la mondialisation. Ces ressources théoriques permettent d’envisager les modèles urbains comme produits par des - et producteurs de - relations interurbaines transformant les collectifs qui les exportent et qui les importent. Méthodologiquement, cette recherche a recours à l’ethnographie multi-site qui consiste à suivre des acteurs, des stratégies et des récits engagés dans des processus translocaux. Le corpus principal est constitué de près de 50 entretiens approfondis avec les promoteurs et les concepteurs du modèle néo-traditionnel, d’observations in situ en France, en Belgique, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis ainsi que de l’analyse de contenu des chartes d’urbanisme, des standards d’aménagement et des autres textes représentatifs du néo-traditionalisme. Ces données permettent de comparer la diversité des relations interurbaines, leur spécificité et leur évolution dans le temps, entre les villes et les institutions que les architectes néo-traditionalistes ont créées de part et d’autre de l’Atlantique.

 

Méprisé par les avant-gardes, considéré comme kitsch et réactionnaire, le modèle d’une nouvelle ville traditionnelle circule internationalement depuis une quarantaine d’année mais peine à gagner en mondialité. Analyser ses espaces de circulation selon une perspective comparative permet de mettre en exergue les résultats suivants. Premièrement, la création des laboratoires du modèle néo-traditionnel n’a été possible qu’en raison d’un considérable travail de résistance à la critique architecturale et d’intéressement des milieux économiques et politiques. Les places fortes du néo-traditionalisme se sont renforcées grâce à l’adoption de principes partagés dénonçant l’héritage du Mouvement Moderne, l’engagement persuasif de ses chefs de file, notamment les architectes Léon Krier et Andrés Duany ainsi que le Prince de Galles, et la création de standards d’aménagement structurant l’harmonie du cadre bâti, l’esthétique de son architecture et la régularité de ses espaces publics.

 

Deuxièmement, les laboratoires précédemment construits au Royaume-Uni et aux Etats-Unis ont tenté de mener un programme international de réforme urbaine en se remettant à des agents de transfert qui ont connecté les divers sites relationnels du mouvement. Les réseaux supranationaux ainsi construits n’ont cependant pas pu se stabiliser. Certains ont cessé leurs activités au profit de collectifs décentralisés, d’autres ont finalement été rattachés aux laboratoires originels. En définitive, les réseaux néo-traditionalistes apparaissent comme fragmentés, leurs groupes isolés et leurs centres concentrés sur l’axe transatlantique anglophone.

 

Troisièmement, l’édification de nouvelles villes traditionnelles produit des environnements extrêmement contrôlés, tant morphologiquement qu’esthétiquement, et peu évolutifs. La gouvernance en est transformée, tout comme les coalitions d’intérêt des acteurs en charge du développement urbain. Quatre conditions sont nécessaires pour que le modèle néo-traditionnel puisse s’ancrer spatialement de manière durable : une maîtrise foncière totale, des finances publiques conséquentes, un contrôle sur le long terme de la conception et un maître d’ouvrage visionnaire et volontariste. Ces conditions permettent aux architectes néo-traditionalistes de bâtir des villes exemplaires, mais limitent toutefois leur champ d’action pour réformer globalement l’urbanisme et l’architecture. En définitive, la faible mondialité du mouvement néo-traditionaliste s’explique par des laboratoires centrés sur leurs espaces nationaux, par des réseaux peu étendus et fragmentés et par des sites aux conditions d’adoption contraignantes.

 

Mots-clés

Modèle urbain, mobilité, néo-traditionalisme, Nouvel Urbanisme, réforme urbaine

 

Keywords

Urban model, mobility, neotraditionalism, New Urbanism, urban reform

 

Lien (thèse en open access)

https://libra.unine.ch/entities/publication/8dae65dd-2a9b-4ee2-b60b-b9f099c42af8/details

 

Publications choisies

 

Dupuis, B. 2011 : Des modèles mobiles. Genèse, réseaux et performativité de l’urbanisme néo-traditionnel. Lieux Communs, 14 : 16-41.

 

Dupuis, B. et Söderström, O. (éditeurs) 2010 : Mondialisations urbaines : formes, flux et gouvernances. Géo-Regards, Revue Neuchâteloise de Géographie, 3.

 

Dupuis, B. 2010 : Gouvernance urbaine et modèle néo-traditionnel: le partenariat public-privé du Val d'Europe. Géo-Regards: Revue Neuchâteloise de Géographie, 3 : 39-53.

 

Dupuis, B. 2010 : « Le mouvement du New Urbanism en Europe. Mémoire collective et esthétique néo-traditionnelle: le projet Quartier am Tacheles à Berlin. » In Boulanger, P. et Hullo-Pouyat, C. (éditeurs), Espace urbains à l'aube du XXIe siècle. Patrimoine et héritages culturels, Paris: PUPS, 123-135.

 

Dupuis, B. 2009 : Le mouvement du New Urbanism et le paysage urbain : la circulation d'une doctrine urbanistique. Articulo, Revue de Sciences Humaines, Hors série 2: esthétiques et pratiques des paysages urbains, http://articulo.revues.org/index1133.html

 

Contact

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Dr Blaise Dupuis, conseiller à la recherche en sciences sociales, Faculté des Sciences de la Société, Université de Genève