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Réhabiliter l’espace public pour revaloriser le quartier de la Goutte d’Or

Trois questions à Virginie Milliot, anthropologue à l’Université Paris Nanterre.
*Remettre de l’ordre dans la rue. Politiques de l’espace public à la Goutte‑d’Or (Paris). Ethnologie française 2015/3 (153): 431-443.

La réhabilitation de l’espace public occupe une place importante dans les politiques. Elle a pour but de revaloriser certains quartiers dont l’image et la situation sont préoccupantes. Visant à changer l’occupation d’un espace déjà constitué, ses fonctions ou son contenu social, elle joue ainsi un rôle majeur dans la gestion sociale et spatiale en milieu urbain. Cet article résulte d’un entretien exploratoire mené auprès de Virginie Milliot et qui s’inscrit dans une étude de terrain sur la gestion des personnes dites “indésirables” dans l’espace public de la Goutte d’Or, à Paris.

Le quartier de la Goutte d’Or, situé au Nord de Paris, dans le XVIIIème arrondissement, est historiquement connu pour son accueil de populations lors des différents vagues migratoires nationales puis mondiales. Aujourd’hui encore, l’identité du quartier est sans aucun doute son esprit cosmopolite dû à la forte présence de familles issues de l’immigration et à l’implantation de commerces exotiques. Depuis de nombreuses années, le quartier fait figure de lieu central du commerce informel et d’activités illégales. L’usage de l’espace public comme outil de travail approprié par certains devient alors une source de conflits pour d’autres. Pour pallier à ces tensions socio-spatiales, les pouvoirs publics incluent la réhabilitation urbaine dans le processus de revalorisation territoriale afin de contrôler les espaces publics et leur structure commerciale.

Quelle est l’ambiance dans un tel quartier multiethnique et exotique ?
Si vous souhaitez vous dépayser et voyager à côté de la maison, c’est le quartier qu’il vous faut. Le quartier regorge de petites boutiques, d’épiceries, de restaurants aux traits africains. Le Maghreb et l’Afrique subsaharienne sont de l’autre côté de votre rue. En arrivant dans le quartier, vous sentez soudainement que vous avez passé une frontière : l’ambiance sonore, les regroupements de personnes et puis surtout, l’accueil des vendeurs ambulants. L’espace public devient alors un espace de sociabilité mais aussi de vente et d’achats dans lequel un sentiment d’étrangeté mais aussi pour certains citadins d’illégitimité vous envahie. Vivre dans un quartier comme celui-ci, c’est également côtoyer quotidiennement ces activités de rue, ce commerce informel, une forte présence policière et donc se confronter sans cesse à des épreuves morales non-négligeables.

La rue y est un lieu d’altercations tant entre habitants et habitués qu’entre commerçants et vendeurs à la sauvette. Des habitants se mobilisent pour une meilleure « qualité de vie » dans le quartier, revendiquent un droit au calme, à la propreté, à la sécurité. La catégorie d’habitant devient un enjeu de légitimité contre ceux qui sont définis comme « indésirables » parce qu’ils s’approprient les trottoirs du quartier sans y résider, pour des pratiques de sociabilité comme de vente informelle. Il s’agit donc d’un quartier extrêmement dense où vous découvrez l’histoire de l’immigration en France, pouvez consommer une ambiance exotique mais où vous êtes également confrontés à des difficultés sociales qui constituent de véritables épreuves morales.

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Marché de rue traditionnel à la Rue Dejean. © João Bolan

Quels sont les enjeux de la réhabilitation de l’espace public au sein de la Goutte d’Or ?
Il semble important de rappeler que ce quartier fait partie, depuis plus de trente ans, d’une politique de la ville de sécurisation et de rénovation urbaine. En 2012, une Zone de sécurité prioritaire (ZSP) a été mise en place dans ce secteur, par le ministre de l’Intérieur, pour répondre à des problèmes qualifiés de « dégradation de l’espace public ». Contrairement à d’autre quartier, la Goutte d’Or a été retenue dans ce dispositif non en raison de gros problèmes de délinquance mais de diverses pratiques considérées comme inadaptées dans l’espace public. La Goutte d’Or peut être considérée comme un « laboratoire urbain » : une multitude de politiques a été essayée pour le transformer, pour le normaliser. Certaines associations de quartiers, et certains commerçants sont aujourd’hui partie prenante de cette politique de reconquête de l’espace public. Mais d’autres y sont très opposés.

La volonté politique est de « réintroduire de la diversité dans ce quartier », bien qu’il s’agisse d’un des quartiers les plus cosmopolites de la capitale. L’enjeu est bien sûr la mixité sociale. La politique menée par Daniel Vaillant, ancien maire du XVIIIème arrondissement, concernant la métamorphose de la Rue des Gardes en « Rue de la Mode », est un bon exemple de cette volonté des autorités publiques d’une transformation sociale et spatiale du territoire. La réhabilitation urbaine vise une revalorisation sociale du quartier, comme le démontre la politique menée en direction des commerces.

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Présence policière dans les rues de la Goutte d’Or. © João Bolan

Quelles conséquences engendre la réhabilitation de l’espace public à la Goutte d’Or ?
Barbès fait partie d’un imaginaire de Paris dans l’Afrique subsaharienne. C’est un territoire réticulaire dont le sens dépasse les frontières nationales. Le quartier de la Goutte d’Or est constitué d’un ensemble de micro-territoires dans lequel certains espaces sont appropriés par des collectifs de différentes nationalités. La reconnaissance mutuelle de ces micro-territoires faisait l’art de vivre de cet espace cosmopolite dans les années 1980. Aujourd’hui, la situation est beaucoup plus tendue et les conflits d’usage de la rue sont quotidiens. Certains y voient un effet de la gentrification marginale du quartier, d’autre de sa densité exponentielle.

La politique de reconquête de l’espace public a produit des déplacements du commerce informel, ces petits commerçants ayant besoin de ces activités pour vivre. Les activités ne disparaissent jamais complètement, elles se relocalisent. Les exemples de l’aménagement du trottoir par le café Barbès, la « guerre des bancs » ou encore l’installation de faux-chantiers illustrent une politique qui ne règle pas les problèmes mais s’efforce de les déraciner et ne fait finalement que les déplacer. Cette économie nomade est enchâssée dans des réseaux transnationaux et déborde sans cesse les limites légales et territoriales que l’État tente de lui imposer.

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Traditionnel point de vente de cigarettes au métro Barbès-Rochechouart. © João Bolan

Conclusion
En résumé, nous retenons que le quartier de la Goutte d’Or vit de son attrait exotique mais suscite aussi l’intérêt de différentes activités illégales. Ces dernières nient à l’image du secteur et engendrent des conflits socio-spatiaux quotidiens quant à l’usage de « l’espace pour tous ». Critiquées par certains, soutenues par d’autres, la Ville de Paris et la Mairie du XVIIIème arrondissement tentent d’agir sur un terrain complexe et délicat. L’ensemble des éléments mis en œuvre pour apaiser les tensions et reconquérir la rue passent entre autres par des politiques urbaines. Mixité sociale, contrôle et sécurité tissent les grandes lignes de nombreux projets destinés à la revalorisation du quartier. Les occupants de certains espaces, qualifiés d’indésirables, entretiennent une étroite relation avec leur territoire alors qu’un imaginaire du quartier accentue le mariage entre activité/individu et lieu. Ainsi, la réhabilitation de l’espace public incite à la relocalisation des pratiques et ne favorise pas entièrement la réappropriation spatiale par d’autres groupes sociaux.

Suite à cet entretien exploratoire qui nous a permis de comprendre entre autres l’histoire, l’ambiance, les conflits et les politiques, nous avons souhaité diriger notre étude de cas sur le nouvel aménagement intitulé « La Promenade urbaine ». Ce projet fait partie intégrante d’une volonté de revalorisation du quartier de la Goutte d’Or, souhaitant changer son usage peu qualitatif et permettre un apport d’activités culturelles, sportives, économiques et festives. Par ce biais, nous allons étudier un cas concret et récent de la gestion des indésirables au sein d’un espace public délaissé.

Propos recueillis le 28 avril 2020 par Julien Cirelli et Lionel Leite.
Remerciements à Virginie Milliot et à João Bolan.